Captation sans autorisation d’une oeuvre de street-art dans une campagne publicitaire / Contrefaçon (OUI) / Rejet des exceptions légales de liberté de panorama et de courte citation

Cour d’appel de Paris, 5 juillet 2023, RG 21/11317

La Cour d’appel de Paris a condamné M. Melenchon et le parti politique La France Insoumise au regard de l’atteinte portée aux droits d’auteur de l’artiste de street-art, Combo du fait de la captation de son œuvre « La Marianne asiatique » sans autorisation, ni mention de son nom dans des vidéos de campagne.

En première instance, les juges avaient débouté l’artiste au motif notamment que cet usage relève des exceptions légales dites de liberté de panorama et de courte citation.

La Cour d’appel infirme ce jugement rappelant que ces exceptions légales prévues par l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, sont d’application stricte.

Sur la liberté de panorama qui se définit comme suit : « 𝐿𝑒𝑠 𝑟𝑒𝑝𝑟𝑜𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑒𝑡 𝑟𝑒𝑝𝑟𝑒́𝑠𝑒𝑛𝑡𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑑’œ𝑢𝑣𝑟𝑒𝑠 𝑎𝑟𝑐ℎ𝑖𝑡𝑒𝑐𝑡𝑢𝑟𝑎𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑠𝑐𝑢𝑙𝑝𝑡𝑢𝑟𝑒𝑠, 𝑝𝑙𝑎𝑐𝑒́𝑒𝑠 𝑒𝑛 𝑝𝑒𝑟𝑚𝑎𝑛𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑠𝑢𝑟 𝑙𝑎 𝑣𝑜𝑖𝑒 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑞𝑢𝑒, 𝑟𝑒́𝑎𝑙𝑖𝑠𝑒́𝑒𝑠 𝑝𝑎𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑒𝑟𝑠𝑜𝑛𝑛𝑒𝑠 𝑝ℎ𝑦𝑠𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠, 𝑎̀ 𝑙’𝑒𝑥𝑐𝑙𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑢𝑠𝑎𝑔𝑒 𝑎̀ 𝑐𝑎𝑟𝑎𝑐𝑡𝑒̀𝑟𝑒 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒𝑟𝑐𝑖𝑎𝑙 ».

En l’espèce :

▶ « La Marianne asiatique », ni même le mur sur lequel elle a été créée ne constituent une « œuvre architecturale ».

▶ Une œuvre de street-art est soumise aux aléas extérieurs (dégradations, effacements …) et ne peut être considérée comme « placée en permanence sur la voie publique ».

▶ Enfin, cette œuvre ne figure pas de façon accessoire ou fortuite dans les vidéos de campagne. Elle a été intégrée délibérément dans une recherche esthétique qui révèle l’intention du réalisateur d’en faire un élément important du clip et d’exploiter l’œuvre en l’associant au message politique diffusé.

Sur l’exception de courte citation :

▶ Le nom de l’artiste n’était aucunement cité et même s’il était effacé de l’œuvre lors de la réalisation de la vidéo, il aurait dû être mentionné puisqu’il était aisément identifiable par des recherches réalisées sur internet.

▶ Cette captation n’est pas justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique ou informatique des vidéos concernées.

Enfin l’atteinte au droit moral de l’artiste est également reconnue compte tenu notamment de l’absence de mention de son nom et de l’atteinte à « l’intégrité spirituelle » de son œuvre, associée sans son autorisation à un parti et à un homme politique.

Sur ce point, nous avions précédemment commenté la décision du tribunal judiciaire infirmée (lien ici).

Exploitation par un employeur de photographies prises par son salarié – contrefaçon (NON) / oeuvre collective (OUI)

Cour d’appel de Paris, 30 juin 2023, RG 21/13981)

Un salarié de la société IKKS Prestations revendiquait des droits d’auteur sur 143 photographies qu’il avait réalisées dans le cadre de son travail, en dehors de sa mission initiale de graphiste textile.

Il reprochait à son employeur d’avoir exploité ces photographies pour les besoins de sa communication, sans autorisation préalable, ni rémunération complémentaire au titre de la cession de ses droits d’auteur.

La titularité des droits d’auteur du salarié était discutée au motif que les photographies revendiquées forment une œuvre collective, réalisée sous l’initiative de la société IKKS Prestations.

La Cour d’appel suit cette position et juge irrecevables les demandes du salarié.

Elle rappelle que doivent être qualifiées d’œuvres collectives, « les œuvres procédant d’un travail collectif associant différentes personnes, lorsque la personne morale avait le pouvoir d’initiative sur les créations et en contrôlait le processus jusqu’au produit finalisé en fournissant des directives et des instructions afin d’harmoniser les différentes contributions, celles-ci se fondant dans l’ensemble en vue duquel elles étaient conçues, sans qu’il soit possible d’attribuer à chaque intervenant un droit distinct sur les œuvres réalisées ».

Elle relève ici :

➡ L’ensemble des photographies ont été divulguées par la société IKKS Prestations sous son nom et ont été exploitées par les différentes entités IKKS.

➡ IKKS Prestations a pris l’initiative des différents shootings.

➡ Si différentes attestations sont produites venant soutenir que le salarié est l’auteur des photographies revendiquées, il appartient à ce dernier de démontrer pour chacune desdites photographies, qu’il a maîtrisé le processus de création sans être assujetti à la direction et au contrôle de son employeur.

En l’espèce, les différentes pièces produites démontrent davantage que le salarié répondait aux instructions précises de la société IKKS par la sélection de photographies ou des prestations de retouches sans avoir réellement de marge de manœuvre sur le processus de création.

Sa contribution procédait d’un travail collectif dont son employeur avait l’initiative et le contrôle.

Cette décision peut être rapprochée d’un précédent arrêt rendu par la même Cour d’appel dans une affaire opposant la société Comptoir des Cotonniers à l’un de ses salariés, relative aux dessins artistiques d’une basket iconique. L’œuvre collective avait été pareillement caractérisée et les demandes en contrefaçon du salarié jugée irrecevables. (CA Paris, 5 mars 2021, n° 19/17254)

Commercialisation de copies serviles de bracelets « jonc » : des bijoux asiatiques revisités / Contrefaçon (NON) / Concurrence déloyale et parasitaire (OUI)

Dans le cadre d’une action classique en contrefaçon de droits d’auteur, la demanderesse ne contestait pas que les bijoux en litige s’inspiraient d’éléments connus mais revendiquait leur originalité tirée, selon elle, des choix créatifs adoptés lors de leur conception : « la créatrice a exprimé sa personnalité, transformant un objet ethnique/exotique en un modèle de bijou assurant par sa forme, sa couleur, la jonction entre l’exotisme et la modernité ».

La Cour d’appel de Paris écarte l’originalité de ces bijoux et rejette par conséquent l’action en contrefaçon :

▶ Les bijoux s’inscrivent dans la culture asiatique puisqu’ils sont utilisés comme porte bonheur pour le culte bouddhiste.

▶ La technique revendiquée – la poudre d’or soufflée dans un tube en plastique souple – relève du savoir-faire.

▶ La demanderesse n’explique pas en quoi la réalisation de torsades ou de tressages avec ses joncs en plastique découlerait de choix créatifs alors que ces techniques appartiennent au fonds commun de la bijouterie.

Les demandes en concurrence déloyale/parasitaire sont en revanche retenues :

▶ La demanderesse justifie avoir engagé des frais et moyens matériels et humains depuis de nombreuses années pour développer ses produits et les faire connaître par une large campagne de communication, par des publications dans de nombreux magazines, par la présence d’une égérie en la personne d’Inès de la Fressange et par la commercialisation dans des enseignes prestigieuses à destination d’une clientèle haut de gamme.

Les agissements fautifs se caractérisent ainsi par :

▶ La vente à des prix moindres, de copies serviles, selon les mêmes gammes de coloris et les mêmes déclinaisons, selon une présentation promotionnelle identique, sans aucune nécessité, ni tendance de mode.

▶ La mention de la marque de la demanderesse sur un blog et une page Facebook de nature à créer un lien avec ses bijoux, aux yeux du public concerné.

➡ La décision s’inscrit (malheureusement) dans le courant d’une jurisprudence sévère à l’égard des œuvres relevant des arts appliqués. Elle aboutit malgré tout à une condamnation de la partie poursuivie, non pas pour contrefaçon mais pour concurrence déloyale par risque de confusion et parasitisme. Donne-t-on d’une main ce que l’on reprend de l’autre ?

Rappelons qu’en matière de bijouterie, des créations telles que les bracelets ‘Juste un clou’ de Cartier, ‘chaîne d’ancre’ de Hermès et la bague ‘Antifer’ de Repossi ont été, elles, protégées par le droit d’auteur.

Contrefaçon de marques – LE GALANGA c. GALANGA BY MONSIEUR GEORGE (TJ Paris, 11 mai 2023)

L’exploitant d’un restaurant thaïlandais LE GALANGA a assigné en contrefaçon de marque une société exploitant plusieurs hôtels, dont l’hôtel cinq étoiles Monsieur George à Paris.

Se prévalant de sa marque éponyme enregistrée en 2018, il lui reprochait d’avoir déposé les marques GALANGA, GALANGA (localité XX) et GALANGA BY MONSIEUR GEORGE, pour désigner des services de restauration.

La société poursuivie a spontanément renoncé aux deux premières marques et ne conserve que la marque GALANGA BY MONSIEUR GEORGE pour exploiter le restaurant de l’hôtel Monsieur George.

Au-delà des détails de l’affaire, nous retenons que le tribunal déboute le demandeur de son action et écarte l’existence d’un risque de confusion entre les signes LE GALANGA et GALANGA BY MONSIEUR GEORGE.

𝗦𝗲𝗹𝗼𝗻 𝗹𝗲 𝗷𝘂𝗴𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 :

➡ Le public pertinent pour rechercher l’existence d’un risque de confusion est un consommateur de produits de restauration, amateur de restaurants, en particulier de cuisine asiatique, notamment thaïlandaise.

➡ Les signes présentent des différences visuelles et auditives, même si le terme GALANGA se retrouve dans la marque seconde en position d’accroche.

▶ A cet égard, il est dit que GALANGA, défini dans le dictionnaire ‘Larousse cuisine’ comme un cousin du gingembre et utilisé pour parfumer les currys ou les soupes en Thaïlande, constitue un terme évocateur de cette cuisine du monde et ne confère à la marque antérieure qu’une faible distinctivité pour désigner un service de restauration asiatique.

▶ Il en résulte que dans la marque seconde, le signe GALANGA perd sa position distinctive autonome au profit des termes « BY MONSIEUR GEORGE » qui sont arbitraires, constituent l’élément dominant et permettent par ailleurs de différencier les signes sur le plan conceptuel.

𝗤𝘂𝗲 𝗽𝗲𝗻𝘀𝗲𝗿 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝘀𝗼𝗹𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻 ?

Certes le jugement est récent et peut-être non définitif.

Mais nous pouvons à tout le moins nous demander si la position contraire ne se serait pas entendue.

L’analyse du risque de confusion – notamment la faible distinctivité du signe –comme la définition du public pertinent et les différences retenues (conceptuelles entre autres) nous semblent discutables dans le cadre d’une appréciation globale et des principes dégagés par la jurisprudence.

Reste donc à attendre tranquillement, mais avec un soupçon d’impatience, l’arrêt (en espérant que la Cour d’appel sera saisie).

Prescription d’une action en contrefaçon de droits d’auteur, bien que les faits incriminés se poursuivent (CA Paris, 17 mai 2023)

Les titulaires des droits d’auteur sur une œuvre musicale ont assigné en contrefaçon de leurs droits, un groupe américain et son éditeur à la suite d’un titre commercialisé depuis 8 ans.

L’irrecevabilité des demandes était discutée sur le fondement de l’article 2224 du code civil au motif que les actes litigieux ont été commis plus de cinq ans avant l’assignation datée du 6 juin 2018.

La Cour d’appel suit ce raisonnement quand bien même les agissements allégués se poursuivent (solution adoptée à la lumière de la décision de la Cour de cassation du 26 février 2020, n°18/19153) :

➡ Les agissements postérieurs ne sont que le prolongement de ceux commis antérieurement.

➡ Le titre incriminé avait été commercialisé dans le monde entier à partir de 2010 et les demandeurs ont ainsi nécessairement eu connaissance de ce titre et donc des faits permettant d’exercer l’action en contrefaçon (il s’agissait du titre ‘Whenever’ du groupe The Black Eyed Peas).

➡ Si les droits moraux de l’auteur sont imprescriptibles et les droits patrimoniaux restent en vigueur, les actions en paiement des créances nées des atteintes à ses droits restent soumises à la prescription quinquennale de droit commun.

Cour d’appel de Paris, 17 mai 2023, RG n°21/15795

Commercialisation par une ancienne cliente de copies serviles : contrefaçon (NON) / parasitisme (OUI) (CA Paris, 17 mars 2023, RG 21/12022)

La société La Coque de Nacre ayant pour activité l’import et la vente en gros de bijoux fantaisie a assigné une société anciennement cliente, en contrefaçon de ses droits d’auteur et en concurrence déloyale et parasitaire.

Elle lui reprochait d’avoir commercialisé sur le site showroomprive.com des copies serviles de ses propres créations, une bague et un bracelet en argent.

𝗟𝗮 𝗖𝗼𝘂𝗿 𝗱’𝗮𝗽𝗽𝗲𝗹 𝗰𝗼𝗻𝗳𝗶𝗿𝗺𝗲 𝗹𝗮 𝗽𝗼𝘀𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝗷𝘂𝗴𝗲𝘀 𝗱𝘂 𝗳𝗼𝗻𝗱 𝗾𝘂𝗶 𝗼𝗻𝘁 𝗲́𝗰𝗮𝗿𝘁𝗲́ 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗲𝗺𝗮𝗻𝗱𝗲𝘀 𝗲𝗻 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗲𝗳𝗮𝗰̧𝗼𝗻.

Il est ainsi retenu que les bijoux revendiqués sont composés d’éléments utilisés communément dans le domaine de la bijouterie (une plume / un mandala) sans autres ajouts particuliers, de sorte qu’ils sont dénués d’originalité. Ils ne peuvent donc bénéficier de la protection par le droit d’auteur.

Le demandeur à l’action qui s’efforçait manifestement de définir quels avaient été ses ‘choix libres et créatifs’ au sens de la jurisprudence COFEMEL de nature à caractériser l’empreinte de sa personnalité, n’est en aucune façon suivi par la Cour d’appel qui, à regret, ne cite pas une fois cet arrêt de la CJUE, pourtant très important.

𝗘𝗻 𝗿𝗲𝘃𝗮𝗻𝗰𝗵𝗲, 𝗹𝗮 𝗖𝗼𝘂𝗿 𝗶𝗻𝗳𝗶𝗿𝗺𝗲 𝗹𝗲 𝗷𝘂𝗴𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗾𝘂𝗶 𝗮𝘃𝗮𝗶𝘁 𝗿𝗲𝗷𝗲𝘁𝗲́ 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗲𝗺𝗮𝗻𝗱𝗲𝘀 𝗲𝗻 𝗰𝗼𝗻𝗰𝘂𝗿𝗿𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗱𝗲́𝗹𝗼𝘆𝗮𝗹𝗲.

La défenderesse soutenait qu’il ne pouvait y avoir de risque de confusion dans la mesure où la société La Coque de Nacre est un grossiste inconnu du public. La vente de bijoux litigieux « copiant » les bijoux revendiqués ne pouvait donc lui causer un préjudice.

La Cour en retient que la défenderesse reconnaît d’une part avoir commercialisé des copies serviles ou quasi serviles, d’autre part avoir été en relation d’affaires avec la société La Coque de Nacre – ces relations étant toujours en cours lors de la vente des bijoux litigieux.

Elle conclut que « l’offre à la vente et la vente du 20 au 27 novembre 2018, de bijoux qui constituent la copie servile ou quasi servile des bijoux commercialisés par la société La Coque de Nacre, provenant de la société chinoise EBST Gallop, sur le même site showroomprive.com dépassent les usages normaux du commerce et constituent des actes de concurrence déloyale commis au préjudice de la société appelante de par la confusion ainsi créée entre les produits en cause, ne serait-ce que pour la clientèle professionnelle de la société appelante ».

𝗘𝗻𝗳𝗶𝗻, 𝘀’𝗮𝗴𝗶𝘀𝘀𝗮𝗻𝘁 𝗱𝗲𝘀 𝗽𝗿𝗮𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀 𝗽𝗮𝗿𝗮𝘀𝗶𝘁𝗮𝗶𝗿𝗲𝘀, ces demandes sont écartées faute pour la société La Coque de Nacre de parvenir à isoler le montant des investissements réalisés sur ces deux bijoux et justifier ainsi de la valeur économique qui leur est associée.

Déchéance d’une marque 3D en forme de biberon (NON) – absence d’altération du caractère distinctif de la marque par l’ajout d’éléments verbaux (TUE, 26 oct. 2022, RG T 273/21)

La société de droit américain The Bazooka Companies. Inc, titulaire d’une marque 3D composée de la forme d’un biberon pour désigner des confiseries, a dû répondre d’une demande en déchéance pour défaut d’usage sérieux de cette marque, devant l’EUIPO.

Portée devant la Chambre de recours, cette dernière a estimé, comme la division d’annulation, que la marque encourait la déchéance.

Selon l’Office, cette marque 3D dont la distinctivité était considérée comme faible, n’était pas exploitée seule, mais toujours associée à des éléments verbaux et figuratifs, lesquels constituaient des ajouts de nature à altérer le caractère distinctif de la marque déposée.

Le TUE ne l’entend pas ainsi et annule la décision de la Chambre de recours.

La marque constituée de la forme ‘nue’ du biberon est sauvée de la déchéance selon une motivation détaillée qui retient l’attention tant on sait combien les marques tridimensionnelles, supposées bénéficier du même traitement que les marques traditionnelles, sont souvent malmenées et annulées.

On retient de cet arrêt ce qui suit :

▶️ Il est admis que le public pertinent perçoit la forme de biberon commercialisée comme identique à la marque déposée. Il ne verra aucune variation de forme significative, les différences évoquées par l’EUIPO, not. en termes de proportion, étant difficilement perceptibles à l’œil nu.

▶️ Plus le caractère distinctif de la marque est faible, plus il sera aisément altéré par l’adjonction d’un élément lui-même distinctif et plus la marque en question perdra son aptitude à être perçue comme une indication de l’origine du produit. A la lumière de ce rappel, il est jugé que la forme du biberon est certes courante, mais qu’elle doit être appréciée au regard des produits visés par le dépôt – des confiseries – qui n’ont aucun rapport avec les produits servant à donner du lait aux bébés. Il doit être aussi relevé que la forme adoptée se différencie des formes plus conventionnelles adoptées dans le secteur de la confiserie (sucettes, sucres d’orge etc.). Autant d’éléments qui permettent de considérer que la marque présente un caractère distinctif intrinsèque moyen, et non faible.

▶️ L’ajout de la marque figurative « BIG BABY POP ! » et d’éléments verbaux et figuratifs, même s’ils peuvent faciliter la détermination de l’origine commerciale des produits visés, ne modifie pas la forme de la marque contestée dans la mesure où le consommateur peut toujours distinguer la forme de la marque tridimensionnelle. La forme est au demeurant si présente que le produit est souvent décrit comme un bonbon en forme de biberon, voire comme « la célèbre confiserie en forme de biberon » : la forme protégée par la marque continue manifestement d’être perçue comme l’indication de l’origine des produits.

▶️ L’ajout de ces différents éléments peut donc être considéré comme ayant donné lieu à un usage, dans une variante acceptable de la marque contestée.

Demande en nullité de marque non prescrite si sollicitée par voie d’exception (CA Versailles, 19 janvier 2023, RG 21/00599)

Une société spécialisée dans la production de pièces en fibre de carbone et titulaire de marques verbales CARBOLAM a saisi le tribunal d’une action en contrefaçon et en concurrence déloyale au regard de l’atteinte portée à ses marques.

La nullité et la déchéance de ses marques étaient sollicitées à titre reconventionnel.

L’irrecevabilité de la demande en nullité était discutée devant la Cour.

La demanderesse soutenait que la demande en nullité était prescrite au vu du délai de droit commun de cinq ans prévu par l’article 2224 du Code civil, le point de départ de la prescription étant le dépôt des marques revendiquées.

Cette position n’est pas suivie par la Cour qui confirme que la demande en nullité n’est pas prescrite :

➡️ La demande principale de la procédure tend à constater la contrefaçon des marques et c’est en réponse à cette demande que la société adverse soulève l’exception de nullité des marques invoquées : cette nullité n’est pas sollicitée à titre principal, mais par voie d’exception. L’exception de nullité est perpétuelle de sorte que la demande ne saurait être prescrite.

➡️ De manière surabondante, il est observé que même à considérer que la demande de nullité constitue une demande reconventionnelle, l’intérêt de la demanderesse de solliciter la nullité des marques n’a pu naître qu’à compter de la délivrance de l’assignation en 2017 et non de la date de leur dépôt.

Non prescrites, les demandes en nullité n’en sont pas moins écartées, la distinctivité des marques étant admise.

Quant à la demande en déchéance, la Cour admet que les preuves d’usage produites justifient d’un usage sérieux.

Elle rappelle, selon une jurisprudence établie, qu’il n’est pas nécessaire que l’usage de la marque soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux car une telle qualification dépend des caractéristiques du produit ou du service concerné sur le marché correspondant.

Usage du signe KLEIN AU PARADIS – atteinte à la marque verbale et au nom patronymique Yves KLEIN (CA Paris, 6 janv. 2023, RG 21/03680)

Les ayants-droits de l’artiste Yves Klein, titulaires de marques patronymiques YVES KLEIN, ont assigné en contrefaçon et en parasitisme une société qui commercialisait un panneau mural panoramique intitulé « KLEIN AU PARADIS » tout en faisant usage des expressions « BLEU KLEIN » ou « KLEIN » pour identifier les coloris de références de tissus et papiers peints.

La Cour considère que les faits incriminés sont partiellement justifiés :

➡️ Les demandes en contrefaçon à l’encontre du signe KLEIN AU PARADIS sont reconnues – la présence en attaque du terme KLEIN a une place prépondérante et engendre des similitudes visuelles et phonétiques importantes avec les marques antérieures. Conceptuellement, les signes font référence à l’artiste célèbre.

L’utilisation de l’expression KLEIN AU PARADIS pour désigner un produit identique ou très fortement similaire à ceux visés par les marques crée dans l’esprit du public un risque de confusion quant à l’origine des produits.

A noter que les juges du fond avaient jugé le contraire, soutenant alors que le signe n’était pas exploité à titre de marque mais en tant que référence – l’ensemble des tableaux étant vendu sous la marque OXYMORE.

➡️ En revanche, les demandes parasitaires ayant trait à la reprise d’une citation de l’artiste et de la mention des coloris KLEIN ou BLEU KLEIN ne sont pas fondées. La défenderesse admet qu’elle a volontairement souhaité faire référence à l’artiste, mais les éléments repris sont uniquement le fruit du travail de ce dernier et non des ayants-droits parties à la procédure.

La preuve de la reprise d’une valeur économique individualisée n’est pas rapportée.

➡️ Enfin les juges admettent que l’exploitation du patronyme KLEIN, dans un cadre commercial et de manière injustifiée pour désigner des produits ou des couleurs en référence à l’artiste, porte atteinte à son nom patronymique et à celui de ses héritiers : « si le droit au nom est essentiellement attaché à la personne de son titulaire et s’éteint en principe avec le décès de celui-ci, il peut également présenter un caractère patrimonial qui permet d’en monnayer l’exploitation commerciale et se transmet aux héritiers » – « par ailleurs, les descendants d’une personne défunte sont ainsi en droit de protéger sa mémoire, sa réputation et sa pensée ».

Décision rendue par la Cour d’appel de Paris, 6 janvier 2023, RG 21/03680

Saga GIANT c. PIZZA GIANT SODEBO – appréciation des agissements parasitaires (CA Paris, 18 nov. 2022)

La société de fast food QUICK était titulaire de la marque GIANT dont la partie française a été annulée par la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 juillet 2018.

Dans le cadre de ce litige, les tribunaux étaient saisis d’une action en contrefaçon de cette marque et en concurrence déloyale et parasitaire, au regard des utilisations réalisées par la société SODEBO de la marque PIZZA GIANT SODEBO.

A la suite d’un long contentieux, la Cour d’appel de renvoi vient de se prononcer sur les agissements parasitaires incriminés, non retenus par l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel du 3 juillet 2018.

Cet arrêt avait été cassé par la Cour de cassation au regard de l’appréciation réalisée du parasitisme.

La Cour d’appel de renvoi suit la même position que celle adoptée en 2018 et déboute QUICK de ses demandes parasitaires :

➡️ QUICK fait état de campagnes publicitaires qui concernent l’ensemble des hamburgers commercialisés par l’enseigne et non uniquement ceux vendus sous la marque GIANT.

➡️ A supposer que la notoriété du hamburger GIANT soit démontrée, la demanderesse ne démontre pas en quoi la seule utilisation du terme GIANT accolé à celui de PIZZA et la précision à la marque SODEBO pour commercialiser des parts de pizzas vendues en supermarché et non des hamburgers de fast food, caractériseraient une intention fautive de se placer dans son sillage et de profiter indûment de ses investissements.

Hormis l’utilisation du terme GIANT, libre de droit, aucun fait ne caractérise donc un comportement parasitaire.

➡️ Aucun élément ne démontre que l’utilisation de ce terme évocateur pour promouvoir une part de pizza, plus grande que la norme, a un effet positif sur le consommateur par l’association avec le hamburger du même nom.

Décision rendue par la Cour d’appel de Paris, 18 novembre 2022, RG 21/09228