Contrat de cession de droits d’auteur – absence de formalisme strict entre les cessionnaires et les sous-exploitants

Cour de Cassation, 28 février 2024, n°22/18120

Les titulaires des droits d’auteur sur la chanson « Partenaire particulier » ont assigné deux sociétés à la suite de l’utilisation sans leur autorisation, d’extraits de cette chanson dans la bande sonore d’un film.

La Cour d’appel avait rejeté leurs demandes en jugeant que l’une des demanderesses – la société productrice et éditrice du phonogramme – avait bien donné son accord avant la sortie en salle du film, sur le principe et sur les modalités de l’utilisation de la chanson.

Un pourvoi a été formé au motif notamment que cette autorisation ne respectait pas le formalisme imposé par les articles L. 131-2 et L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle et que la cession de droits aurait donc dû être constatée par écrit pour être valablement admise.

La Cour de cassation (1ère ch. Civile, arrêt publié au bulletin) rejette ce pourvoi et rappelle la portée des articles L. 131-2 et L. 131-3 du CPI :

➡ Ces dispositions régissent les seuls contrats consentis par l’auteur dans l’exercice de son droit d’exploitation et non ceux que peuvent conclure les cessionnaires avec des sous-exploitants.

La Cour d’appel n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que le formalisme requis par ces dispositions légales n’était ici pas requis et que l’autorisation consentie par la société productrice/éditrice était suffisante.

Cette position n’est pas nouvelle et vient conforter une jurisprudence désormais ancienne (cf. le célèbre arrêt Perrier : Cass. 13 oct. 1993, n°91/11241 ; ou Ducs de Gascogne : Cass. 5 nov. 2002, n°01/01926).

Protection par le droit d’auteur des tabourets « Tam Tam » – contrefaçon (oui) parasitisme (oui)

Cour d’appel de Lyon, 22 février 2024, n°20/06309

Une société se prévalait de droits d’auteur sur le tabouret iconique démontable en plastique connu sous le nom « Tam Tam » – ses droits de dessins et modèles étaient expirés, selon ce que la décision enseigne. Cette société a saisi les tribunaux d’une action en contrefaçon et en concurrence parasitaire.

L’originalité du tabouret était discutée.

Les juges rappellent que les décisions ayant admis cette originalité ne sont pas opposables à la défenderesse. Toutefois, la demanderesse peut s’en prévaloir à l’appui de sa démonstration.

Elle parvient ici à justifier de nouveau de l’originalité du tabouret qui tient à la combinaison, selon la Cour d’appel :

➡ d’une forme en diabolo alliée à l’emploi de la matière plastique (premier élément),

➡ de parties jumelles démontables et emboîtables se rencontrant en un point dont la finesse relative permet de supporter le poids d’un corps (deuxième élément),

➡ des possibilités offertes par ces caractères démontable et emboîtable qui ne répondent pas à un défi technique, mais permettent de jouer entre les multiples profils d’emboîtement (troisième élément).

Cette combinaison présente un caractère aléatoire, ludique et esthétique, au regard duquel elle ne se réduit point à une simple juxtaposition de caractéristiques fonctionnelles appelées à répondre à des considérations d’ordre purement technique. Elle reflète ainsi la personnalité de son auteur.

Certaines antériorités étaient produites – les tabourets « Carrara et Matta » et « Tulip » notamment – mais il est admis qu’aucune ne reprend la combinaison spécifique invoquée pour le tabouret « Tam Tam ».

Le tabouret est donc éligible à la protection par le droit d’auteur et les actes de contrefaçon sont caractérisés par la commercialisation en magasin d’un produit reproduisant ces mêmes caractéristiques originales.

Il en est de même pour les demandes fondées sur le parasitisme relatives à des pratiques promotionnelles commises par la défenderesse. Ces faits sont bien distincts des actes de contrefaçon et sont fautifs puisque la communication afférente aux produits contrefaisants, faisait explicitement référence au « style Tam Tam ».

S’agissant du préjudice, l’affaire est néanmoins renvoyée à une audience ultérieure dans la mesure où les preuves produites par les parties ne permettent pas aux juges de déterminer le montant de la marge sur coût variable ainsi que les gains manqués et la perte subie.

Reproduction détournée d’une marque sur une affiche par un particulier – absence d’usage dans la vie des affaires

Cour de Cassation, 27 février 2024, n°23/81563

Une société a constaté l’existence, sur un panneau publicitaire, d’une affiche qui reproduisait de manière détournée sa marque, sans son autorisation. Cette affiche avait été également publiée sur la page Facebook d’un particulier.

Dans le cadre d’une action initiée devant la juridiction pénale, pour délit d’usage et de reproduction d’une marque, la Cour de cassation (Ch.crim., arrêt publié au Bulletin) s’est penchée sur la notion « d’usage dans la vie des affaires », l’un des critères essentiels pour caractériser des actes de contrefaçon, tel que précisé par l’arrêt Arsenal (CJUE, 12 nov. 2022, C-206/01) que la Cour de cassation vise expressément.

Elle relève que pour examiner si l’usage litigieux relève de la vie des affaires, les juges du fond ont vérifié s’il « s’inscrit dans le domaine économique et vise à l’obtention d’un avantage direct ou indirect de nature économique ».

Selon la Cour suprême, la Cour d’appel (Aix-en-Provence) n’a pas commis d’erreur de droit en admettant que les usages incriminés ne relèvent pas de la vie des affaires :

➡ L’affiche litigieuse n’a été apposée que sur un seul panneau publicitaire qui est la propriété personnelle d’un particulier – la page Facebook appartenait également à ce dernier.

➡La mention litigieuse détournant la marque incriminée a été diffusée de manière restreinte et pour un temps donné.

➡ Cette mention présente un caractère satirique, elle ne contient aucune proposition de produit et ne s’inscrit ni dans une activité économique, ni dans le cadre d’une opération commerciale.

Si le particulier est inscrit au répertoire SIRENE pour une activité d’agence de publicité et exerce une activité commerciale participant de ce fait à la vie des affaires en dépit de sa situation de retraité, l’affiche elle-même ne s’inscrit en rien dans le domaine économique, ni ne vise à l’obtention d’un avantage direct ou indirect de nature économique.

Dessin et modèle inspiré d’une lame de rasoir Gillette – Aucune protection, ni par les DM, ni par le droit d’auteur

Cour d’appel de Bordeaux, 19 décembre 2023, n°21/01177

Une artiste plasticienne, titulaire d’un dessin et modèle enregistré portant sur un graphisme intitulé LARMADA décrit comme ‘Double galbe féminin LARMADA façon Totem pouvant être décliné sous plusieurs formes, tailles et dimensions’, assigne en  contrefaçon de ses droits de dessin et modèle et de droits d’auteur, la société Zadig & Voltaire, du fait de la commercialisation de produits revêtus de ce graphisme.

La Cour d’appel de Bordeaux déboute l’artiste de ses demandes et confirme ainsi le jugement en toutes ses dispositions.

Sur le dessin enregistré, on retient notamment ce qui suit :

➡ Le dessin et modèle consiste en la reproduction du dessin central de la lame de rasoir Gillette qui fait partie du domaine public.

➡ En l’absence de toute modification de la partie centrale de la lame, il ne se dégage du dessin LARMADA aucune différence signifiante avec la lame Gillette (défaut de nouveauté), ni aucune impression visuelle différente et partant, aucun caractère propre permettant de conférer à ce dépôt la protection au titre des dessins ou modèles.

A noter que l’observateur averti pris en considération peut être un amateur d’art, de vêtements ou de bijoux, ou bien un amateur d’objets industriels comme la lame Gillette dont il sera capable de percevoir la forme centrale, même extraite du cadre de la lame.

Sur le droit d’auteur :

➡ Sans grande surprise, il est jugé que l’originalité du dessin n’est pas caractérisée.

L’artiste fait référence à des choix ‘hautement symboliques’, ‘renvoyant à l’image d’une femme équilibrée et apaisée’ ou ‘faits dans le but de favoriser la renaissance d’une femme ayant frôlé la mort’.

La Cour juge toutefois que l’artiste ne renvoie qu’à une idée ou inspiration personnelle à l’auteur mais ne met en évidence aucun effort, choix ou parti pris créatif particulier, conférant à l’œuvre une physionomie propre et originale, permettant de distinguer l’oeuvre de la forme de la partie centrale évidée de la lame de rasoir Gillette.

Meilleurs voeux 2024 !

Meilleurs voeux pour 2024.

Les résolutions se prennent en début d’année; les solutions se trouvent tout au long du chemin. Continuons d’aller de l’avant.

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Diffusion d’un clip de campagne, selon le concept & les mêmes caractéristiques que l’émission « Fast & Furious »

Décision Cour d’appel de Paris, 10 novembre 2023, RG n°21/13168

Le média digital KONBINI a développé un concept d’émission « Fast & Curious » consistant en une interview vidéo de 2 minutes 30 secondes, durant laquelle une personnalité répond de manière rapide à une série de questions en choisissant entre deux propositions simples.

Elle a assigné le maire d’une municipalité pour des actes de parasitisme, à la suite de la diffusion sur la page Facebook officielle de sa campagne électorale, d’un clip semblable à son émission.

Selon KONBINI, le maire a profité indûment de ses investissements en se plaçant dans le sillage du programme « Fast & Curious » et plus particulièrement en se fondant sur un concept et une construction identiques, selon le même esprit et le même format tant dans sa durée que dans ses caractéristiques distinctives (plans visuels et sonores / reprise d’une partie du titre).

La Cour d’appel de Paris ne suit pas cette position pour les raisons suivantes :

▶ Par application du principe de la liberté du commerce, les développements de KONBINI consacrés à la reprise des caractéristiques du concept, du format ou de « l’esprit » de l’émission « Fast & Curious » sont indifférents à la solution du litige.

▶ De même, les arguments liés à l’originalité ou non du format de l’émission sont inopérants puisqu’aucun droit de propriété intellectuelle n’est opposé.

▶ Enfin, les preuves produites par KONBINI pour justifier de la valeur économique de son émission, ne permettent pas d’en établir la notoriété (page extraite du site internet, copies du compte Wikipédia ou du compte Facebook). Les autres documents relatifs « aux coûts de production » sont également écartés des débats notamment pour défaut de dates et d’origines certaines.

Les demandes en parasitisme sont donc rejetées, faute pour KONBINI de rapporter la preuve de la captation fautive de la valeur économique individualisée de son émission.

Agissements parasitaires (OUI) / reprise fautive de plusieurs modèles iconiques de Céline (NON)

Cour d’appel de Paris, 10 novembre 2023, RG n°21/19126

La société CELINE a assigné la société MANGO pour des agissements parasitaires, du fait de la promotion et de la commercialisation de copies de plusieurs de ses produits (lunettes, maroquinerie, chaussures ou bijoux).

En défense, la société MANGO soutenait que la demanderesse se fonde sur une multiplication artificielle de modèles litigieux en invoquant un « suivisme récurrent » sans rapport avec un quelconque effet de gamme.

Elle ajoutait que la société CELINE n’établit pas l’existence d’une valeur économique individualisée pour chacun des produits en cause, cette valeur économique ne se présumant pas et résultant au contraire d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements qui ne peut uniquement ressortir du caractère luxueux des produits ou de la renommée des directeurs artistiques employés. Au demeurant, elle soulignait que les produits sont banals.

La Cour ne suit pas cette position et condamne la société MANGO pour les raisons suivantes :

▶ Les pièces produites par la société CELINE démontrent que les produits revendiqués sont des produits phares qui bénéficient d’une certaine notoriété. Ils constituent ainsi des valeurs économiques individualisées même si les chiffres de vente pour chacun d’entre eux ne sont pas produits.

▶ La société MANGO a offert à la vente les produits incriminés, concomitamment à ceux de la société CELINE. Ces produits sont très inspirés et sont pour la plupart commercialisés peu après leur présentation lors d’un défilé ou leur lancement.

▶ Enfin les produits incriminés sont pour la plupart issus d’une même collection, caractérisant ainsi un effet de gamme.

Les juges en concluent que les reprises répétées de produits à succès ne peuvent être considérées comme fortuites. Elles tendent à générer une évocation des produits CELINE dans l’esprit du public et à profiter ainsi, sans bourse délier, de ses investissements et de la notoriété de ses produits.

Les dommages et intérêts sont évalués la somme de 2 000 000 euros, incluant un préjudice moral du fait de l’atteinte à la réputation et à l’image de la société CELINE fondée sur le luxe et l’exclusivité, les frais de procédure (article 700) à 40 000 euros.

On note que la Cour s’inspire, sur le préjudice, de la jurisprudence de la Cour de cassation : « Les pratiques déloyales consistant à reprendre les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels d’un concurrent, qui ont un coût en ce qu’ils permettent à l’auteur de ces pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles ».

Mauvais temps pour les marques tridimensionnelles – demande d’enregistrement d’une marque représentant un serpentin jaune rejeté pour défaut de caractère distinctif

Cour de Cassation, 27 septembre 2023, n°22/13827

La demande d’enregistrement d’une marque tridimensionnelle en couleurs, représentant un serpentin de couleur jaune, pour désigner des fromages, a été rejetée par l’INPI pour défaut de caractère distinctif.

La Cour d’appel a confirmé la position de l’INPI.

En fondant l’analyse du caractère distinctif à la lumière des produits alimentaires tels que des rouleaux de réglisse ou des chewing-gums, la Cour a considéré que la marque tridimensionnelle contestée ne diverge pas de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur et qu’elle est, de ce fait, insusceptible d’exercer la fonction essentielle d’indication d’origine.

Le déposant a formé un pourvoi à l’encontre de cet arrêt au motif notamment que cette analyse aurait dû être réalisée au regard des seuls fromages et non à la lumière de la catégorie très générale des produits alimentaires.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et relève que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision :

➡ L’appréciation de la distinctivité doit, au vu de la nature du produit, s’effectuer au regard de la norme et des habitudes du secteur. L’arrêt d’appel a donc, à bon droit, pris en considération le secteur des denrées alimentaires dont relèvent les fromages.

➡ Plusieurs produits alimentaires se présentent sous la forme d’un serpentin enroulé sur lui-même, en particulier des rouleaux de réglisse ou de chewing-gum mais aussi des préparations culinaires et pâtissières.

➡ Le consommateur moyen achète rapidement les fromages sans y prêter attention et, confronté à une grande variété de fromages aux formes parfois non conventionnelles, il considèrera un fromage présenté en spirale enroulé sur lui-même comme une nouvelle modalité de commercialisation du produit.

➡ En présence d’une telle diversité, la forme de la marque, même associée à la couleur jaune, ne peut remplir la fonction essentielle d’identification d’origine du produit.

Reproduction d’une lampe sans autorisation sur des photographies promotionnelles – Théorie de l’accessoire (NON) / Contrefaçon (OUI)

Cour d’appel de Paris, 27 septembre 2023, n°21/12348

Un sculpteur a assigné en contrefaçon de ses droits d’auteur un architecte d’intérieur et sa société, au regard des usages réalisés de sa création, la lampe « Lyre ».

L’architecte avait commandé au sculpteur plusieurs modèles de cette lampe pour décorer un hôtel situé en Suisse. Le sculpteur lui reprochait d’avoir diffusé sur les réseaux sociaux, des photographies de cette lampe sans son autorisation, ni mention de son nom.

Les débats ont porté sur l’originalité de la lampe qui était caractérisée comme suit :

« L’association d’une structure arrondie en forme de harpe asymétrique, véritable sculpture fabriquée en plâtre puis laquée et peinte en différentes couleurs selon le modèle, coiffée par de petits abat-jours de forme et de matériaux traditionnels ».

L’auteur expose qu’il « a fabriqué la lampe Lyre afin de lui donner une allure souple, aérienne et sensuelle du fait de sa forme arrondie et qu’elle fasse ‘tour à tour penser à une amphore, une algue mouvante, des jambes déliées ou un poisson plongeant et dynamique par son asymétrie’, la lampe incarnant, de ce fait, tout à la fois le mouvement et la sérénité ».

➡ La Cour admet que la création est protégée :

▶ Le créateur définit de façon circonstanciée les contours de l’originalité qu’il allègue en explicitant clairement les choix auxquels il a procédé dans sa démarche de création.

▶ Il est parvenu à concilier les contraintes techniques propres à une lampe avec une représentation toute personnelle de l’instrument de musique donnant à l’ensemble des courbes sensuelles et généreuses.

Quant aux actes de contrefaçon, la défenderesse se prévalait de la théorie jurisprudentielle de l’accessoire, aux termes de laquelle une œuvre peut être licitement exploitée si elle figure en arrière-plan et n’est pas présentée en tant que sujet principal (Cass. 15 mars 2005, n°03/14820 ; Cass. 12 mai 2011, n°08/20651).

Elle soutenait que la lampe est représentée accessoirement en ce qu’elle n’est ni l’objet, ni l’objectif de la communication en cause et qu’en toute hypothèse, elle n’est pas la lampe initiale telle que fabriquée par le sculpteur mais une adaptation qui avait été réalisée à la demande de l’architecte.

➡ La Cour ne suit pas cette position et condamne les actes de contrefaçon :

▶ La présence de la lampe sur les photographies litigieuses résulte d’un choix délibéré dès lors que le mannequin se met en scène avec elle : si cette lampe est parfois reléguée au 2d plan, elle reste très visible dans toutes ses caractéristiques et mise en évidence au regard des lumières et des couleurs.

▶ Les adaptations réalisées de la lampe ne confèrent pas de droits à l’architecte, ni même ne l’autorisent à publier des photographies sans mention du nom de l’auteur.

▶ Ces atteintes sont renforcées car les photographies laissent penser que l’architecte est le créateur de la lampe Lyre – les juges relèvent que l’architecte et le sculpteur sont tous deux très connus dans leur secteur d’activité respectif.