Usage du nom de famille « Aurélie Bidermann » par la créatrice / atteinte aux droits acquis par la société AMS DESIGN sur la marque Aurélie Bidermann (TJ de Paris, 11 sept. 2025, 21/0063)

Voici un jugement dense, mais intéressant.

Il porte notamment sur la délicate question de la cession du nom de famille, constitutif d’une marque enregistrée. La cédante est une créatrice connue qui entend, postérieurement à la cession et malgré celle-ci, poursuivre l’exploitation de son nom de famille comme signature et attribut de sa personnalité dans un tout autre projet.

Le Tribunal lui dénie ce droit et reconnaît la cessionnaire du nom de famille et de la marque enregistrée bien fondée en ses demandes d’interdiction.
Le tribunal juge en particulier ce qui suit :

Le nom de famille AURELIE BIDERMANN constitue un usage à titre de marque et n’est pas utilisé comme une simple expression du droit moral de la créatrice : il est apposé sur les bijoux, leurs emballages et étiquettes aux côtés de la marque MASSIMO DUTTI, dans une taille comparable et en position d’attaque, traduisant une logique de collaboration commerciale.

La mention « par Mademoiselle Aurélie Bidermann » ne traduit pas une volonté de limiter l’usage du nom à une simple signature.

La recherche d’un équilibre entre droit moral de la créatrice et droits de marque de la société AMS Design ne saurait priver cette dernière des droits acquis, ni des engagements contractuels de la créatrice, sauf à violer son obligation de jouissance paisible.

Les produits en cause étant identiques et les signes très proches, le risque de confusion est établi. La présence de la marque MASSIMO DUTTI n’atténue pas ce risque, le consommateur pouvant croire à une collaboration avec la marque AURELIE BIDERMANN.

Œ𝐢𝐥 𝐝𝐞 𝐁𝐀 : De manière insolite, on note que le jugement fait droit à la demande de la société AMS Design en condamnation des sociétés MASSIMO DUTTI pour parasitisme mais la réparation de ce préjudice est écartée au motif que celui-ci a « déjà été indemnisé au titre de la contrefaçon » (étonnant – Cf. jp « Facebook », Cass.com., 26 mars 2025, n°23-13.589). Et on relève, dans le dispositif, et non sans contradiction, que la société AMS Design est finalement déboutée de sa demande en concurrence parasitaire. Il y a sans doute matière à clarifier.

Le jugement est récent, il peut bien entendu être frappé d’appel.

Validité d’une marque sonore pour des services de transports / distinctivité d’une maladie très brève : deux secondes (OUI) (TUE, 10 sept. 2025, T288/24)

La société Berliner Verkehrsbetriebe, principale société de transport public de Berlin, dépose le 15 mars 2023 une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne sonore d’une durée de deux secondes, désignant des services de transport.

Ce dépôt est refusé par l’Office puis par la chambre de recours, au motif que la marque, trop courte et banale, est dépourvue de prégnance et incapable d’être perçue par les consommateurs comme une indication de l’origine commerciale.

Le TUE annule la décision de la chambre de recours :

▶️ Les critères d’appréciation du caractère distinctif sont identiques pour toutes les catégories de marques et les marques sonores ne font pas exception. Ces dernières doivent présenter une certaine prégnance permettant au consommateur de les percevoir et de les considérer comme une marque et non comme un élément fonctionnel ou un simple indicateur dépourvu de caractéristiques propres.

▶️ Plusieurs éléments permettent d’établir le caractère distinctif de la marque revendiquée :

– Premièrement, d’après les habitudes du secteur, il est notoire que les opérateurs du secteur des transports ont de plus en plus recours à des « jingles » pour façonner une identité sonore reconnaissable. Ces séquences brèves permettent de capter l’attention dans des environnements bruyants.

– Deuxièmement, la marque consiste en une mélodie dans laquelle se succèdent quatre sons perceptibles différents. Elle ne présente pas un lien direct avec les services de transports, comme un passage de métro ou de train. Elle n’est pas davantage dictée par des considérations techniques ou fonctionnelles, ni connue du public permettant de présumer qu’il s’agirait d’une œuvre originale.

▶️ Cette mélodie a ainsi vocation à fonctionner comme un jingle : une séquence courte, percutante et mémorisable. À cet égard, l’EUIPO a déjà admis des marques sonores constituées de séquences brèves. Ces décisions sont rappelées dans ses lignes directrices.

▶️ Dès lors, compte tenu des caractéristiques de la marque (durée, mélodie, sons perceptibles) et des indications de l’EUIPO sur le rôle de ces éléments dans l’appréciation du caractère distinctif, la chambre de recours a commis une erreur en concluant à son absence de distinctivité au seul motif que le signe serait « extrêmement court (deux secondes) et simple (quatre sons) ».

▶️ Le caractère fonctionnel du jingle est enfin exclu dès lors qu’il ne correspond pas à un bruit habituellement entendu lors de l’utilisation de transports.

Prescription de l’action en contrefaçon de droits d’auteur / point de départ du délai (Cass. 3 sept. 2025, n°23/18669)

Clarification sur le point de départ du délai de prescription applicable à l’action en contrefaçon de droits d’auteur.

Les auteurs de l’œuvre musicale « A world without danger » ont assigné en contrefaçon de leurs droits d’auteur le groupe Black Eyed Peas, leur reprochant d’avoir exploité leur création sans autorisation dans l’album « The Beginning », sorti en 2010.

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 17 mai 2023 (commenté sur notre site internet – lien en commentaire), avait jugé leur action prescrite, retenant que les actes litigieux avaient été commis plus de cinq ans avant l’assignation du 6 juin 2018 et que les actes postérieurs n’en étaient que le simple prolongement.

La Cour de cassation (1ère chambre civile) casse cet arrêt, au visa de l’article 2224 du code civil :

➡️ Elle rappelle que l’action en contrefaçon se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

➡️ Lorsque la contrefaçon résulte d’une succession d’actes distincts (actes de reproduction, de représentation ou de diffusion) et non d’un acte unique s’étant prolongé dans le temps, la prescription court pour chacun de ces actes, à compter du jour où l’auteur a connu un tel acte ou aurait dû en avoir connaissance.

➡️ La Cour d’appel a méconnu l’article 2224 du code civil en jugeant l’action prescrite au seul motif que les demandeurs avaient eu connaissance des faits initiaux en 2011, peu important que l’album ait été encore dans le commerce ou que le titre soit resté disponible sur des plateformes de téléchargement en 2018, qualifiant à tort ces actes d’exploitation de simples prolongements des actes initiaux.

L’arrêt est publié au Bulletin.

L’affaire est renvoyée à la Cour d’appel de Paris, autrement composée, qui aura à connaître du fond de l’affaire et de la réalité ou non de la contrefaçon alléguée.

Marque consistant en une combinaison des couleurs bleu et vert / Absence de caractère distinctif intrinsèque et rejet du dépôt (OUI) (TUE, 11 juin 2025, T-38/24)

Le TUE vient de rendre un arrêt qui mérite d’être relevé : il émane de la Première chambre et la requérante était soutenue par deux intervenantes ‘de marque’, les associations professionnelles internationales, l’INTA et MARQUES, ce qui n’arrive pas si fréquemment. Le recours n’en est pas moins rejeté !

La requérante sollicitait ici l’enregistrement international désignant l’UE d’un signe composé d’une combinaison de couleurs — bleu gentiane (RAL 5010) et jaune-vert (RAL 6018) — visant notamment des produits et services chimiques, des prestations liées à l’usage ou à l’entretien de véhicules (liquides de frein, lubrifiants), ainsi que des services de construction d’installations destinées à l’exploitation d’hydrocarbures.

Cette demande a été partiellement refusée par l’examinateur puis par la chambre de recours pour défaut de caractère distinctif intrinsèque du signe, perçu comme un élément décoratif et non comme une indication d’origine.

𝐋𝐞 𝐓𝐔𝐄 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐢𝐫𝐦𝐞 𝐜𝐞 𝐫𝐞𝐟𝐮𝐬 :

➡️ Il est admis que les couleurs ou combinaisons de couleurs peuvent, par principe, être protégées à titre de marque, à condition d’être perçues par le public pertinent comme une indication d’origine commerciale.

Plus précisément, la combinaison doit pouvoir véhiculer des informations précises sur l’origine des produits ou services, se distinguer des usages courants du secteur et ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs.

En l’espèce :

➡️ L’agencement des couleurs, même systématique, n’est pas perçu comme un indicateur d’origine, mais comme un simple élément décoratif, notamment dans le secteur des stations-service où l’usage de couleurs est fréquemment utilisé.

➡️ Les nuances bleu et vert, analysées séparément puis conjointement, renvoient à des valeurs écologiques. Leur combinaison ne permet pas, en tant que telle, d’identifier une origine commerciale.

➡️ Le Tribunal retient un avis d’expert selon lequel les couleurs ne peuvent remplir cette fonction que si le public les associe déjà à une entreprise. Le fait que la combinaison revendiquée diffère légèrement d’autres usages ne suffit pas à établir son caractère distinctif.

➡️ La requérante faisait valoir que le simple usage décoratif du signe ne pouvait justifier son rejet, mais le Tribunal rappelle que ce motif n’a pas été retenu isolément : le refus repose également sur l’incapacité du signe à s’individualiser par rapport aux autres combinaisons de couleurs déjà utilisées dans le secteur concerné.

➡️ La requérante se prévalait des directives de l’EUIPO pour contester l’analyse retenue mais il est rappelé qu’elles ne sont pas juridiquement contraignantes et que la chambre de recours s’est appuyée sur la jurisprudence pertinente, des faits notoires et des éléments de preuve spécifiques (avis d’expert, exemples du marché).

Renommée des marques AZZARO pour du parfum (OUI) / Atteinte à leur renommée pour valoriser une gamme de vin (OUI)

Tribunal judiciaire de Paris, 18 juin 2025, RG n°21/15290

La société L’OREAL, titulaire de plusieurs marques AZZARO et d’une marque CHROME désignant notamment des produits cosmétiques ou des vêtements, assigne la société WINES AND BRANDS, spécialisée dans le négoce de vin, pour atteinte à la renommée de ses marques, ainsi qu’en parasitisme et pratiques commerciales trompeuses.

Elle lui reproche d’avoir effectué la promotion, sur son site internet, de bouteilles de vin revêtues du signe AZZARO et associées au signe CHROME, en évoquant un partenariat avec « la maison de luxe AZZARO ».

La société WINES AND BRANDS s’en défendait en se prévalant d’une licence exclusive consentie par une société tierce, sur une marque internationale AZZARO et une marque de l’UE, AZZARO.

Après que le JME eût prononcé, en cours d’instance, des mesures provisoires d’interdiction et d’exécution de mesures d’astreinte, par deux ordonnances distinctes, le tribunal confirme, au fond, l’atteinte à la renommée en ces termes :

➡️ La renommée des marques AZZARO est établie : selon une appréciation globale, conforme aux principes, le tribunal relève l’importance des investissements publicitaires réalisés par L’OREAL, l’usage ancien et constant de la marque, son rayonnement géographique, ainsi que son positionnement sur le marché du parfum (13ème parmi les marques de parfum en France entre 2018 et 2023).

➡️ La renommée de la marque CHROME est écartée : selon une motivation plus rapide et qui interroge quelque peu, le tribunal considère qu’il n’est pas démontré que cette marque exerce un pouvoir d’attraction propre, indépendant des produits qu’elle désigne.

➡️ La licence invoquée par WINES AND BRANDS est inopérante :
– la marque internationale AZZARO ne désigne ni la France, ni l’Union européenne,
– la marque de l’UE AZZARO n’est pas enregistrée, en raison d’une opposition encore pendante.
Ainsi, aucun droit d’usage du signe AZZARO ne peut être valablement revendiqué.

➡️ Le lien entre les vins promus et les marques AZZARO est caractérisé du fait de l’identité des signes. Cet usage sans autorisation vise à bénéficier de leur renommée et porte ainsi « préjudice à leur renommée et à leur caractère distinctif ».

➡️ L’atteinte à la renommée des marques AZZARO est caractérisée : les mentions sur le site litigieux – « estampillés par le célèbre couturier et parfumeur », « expression parfaite de la philosophie de la marque AZZARO et de ses parfums » – traduisent une volonté manifeste d’associer les vins à l’univers du luxe et de la parfumerie.

➡️ Les demandes fondées sur la concurrence déloyale et les pratiques commerciales trompeuses sont rejetées au motif que les faits reprochés ne sont pas distincts de ceux sanctionnés au titre de l’atteinte à la renommée.

Ce jugement peut encore faire l’objet d’un appel.

« La radio locale n°1 » / mention constitutive d’une publicité comparative illicite, faute de comparaison objective

Cour de cassation, ch.Com, 4 juin 2025, RG n°23/22511

La société MEDIA BONHEUR exploite la radio locale « RADIO BONHEUR », diffusée en Bretagne sur la bande FM. Depuis 2021, elle est classée première des radios locales dans sa zone selon les données Médiamétrie.

Estimant que la radio concurrente « J’AIME RADIO », diffusée dans le pays de Lorient, revendique de manière indue la qualité de radio locale n°1, MEDIA BONHEUR l’a assignée en référé.

Elle se fonde sur le caractère manifestement illicite de ces slogans utilisés sur différents supports : « J’AIME RADIO, la radio locale n°1 de Lorient », « J’AIME RADIO, la radio locale n°1 du pays de Lorient » ainsi que sur tout slogan attribuant à J’AIME RADIO la place de radio n° 1.

La Cour d’appel rejette la demande, retenant que la seule mention litigieuse, même répétée et/ou en gros caractères, ne saurait être regardée comme une affirmation chiffrée ou vérifiable relative à l’audience réelle de la station. Elle y voit plutôt une formule publicitaire de nature emphatique, valorisant de façon globale l’activité de la radio « J’AIME RADIO » (contenus locaux, jeux, podcast), sans pour autant revendiquer de manière objective et mesurable une supériorité d’audience sur la radio « RADIO BONHEUR ».

La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, ne l’entend pas ainsi et casse l’arrêt.

Elle retient que la mention telle que « La radio locale n°1 de Lorient, Bretagne Sud » constitue une publicité comparative en ce qu’elle implique un classement sur un marché géographiquement circonscrit, rendant les concurrents identifiables.

Cette comparaison ne compare pas objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces services, et ne satisfait donc pas aux conditions de licéité prévues par l’article L. 122-1 du code de la consommation.

𝐋’œ𝐢𝐥 𝐝𝐞 𝐁𝐀 : La jurisprudence est plutôt bien établie sur cette question. Lorsque, implicitement, un opérateur désigne par des allégations du type ‘n°1…’ ou ‘le vrai…’, l’un ou plusieurs de ses concurrents qui restent parfaitement identifiables sur le marché identifié, cette communication constitue une publicité comparative illicite, souvent qualifiée de dénigrante.

Appréciation de la concurrence déloyale / Le risque de confusion doit être analysé dans son ensemble et non élément par élément

Cour de Cassation, Ch. Com, 4 juin 2025, RG n°24/10219

La société L’Artisan Glacier, spécialisée dans la vente de glaces, reproche à ses anciens distributeurs la rupture brutale de leurs relations commerciales ainsi que des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, en incriminant la reprise concertée d’un visuel très proche de celui qu’elle utilise sur ses produits.

Elle leur reproche notamment :

▶️ la reprise de la dénomination « L’Artisan glacier » mentionnée de manière très apparente, avec une typographie identique,
▶️ l’usage d’un liseré extérieur avec les mêmes coloris,
▶️ une présentation du parfum et du volume en police équivalente,
▶️ la reproduction du logo avec les mêmes teintes.

La Cour d’appel avait rejeté ces demandes, retenant que l’expression « L’Artisan glacier » est descriptive, que le logo et les coloris ont été antérieurement exploités par l’un des distributeurs, que la forme des étiquettes et des pots résulte de contraintes techniques, et que les polices d’écriture utilisées sont banales.

Elle relevait en outre que la société L’Artisan Glacier n’explique pas en quoi la police d’écriture présente une spécificité participant de son identification ; qu’ainsi, la combinaison opposée s’inscrit dans les habitudes du secteur.

La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, casse cette décision par un arrêt, publié au Bulletin :

« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait, si la reprise de ces éléments, considérés dans leur ensemble, n’était pas de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public et, partant, à caractériser un acte de concurrence déloyale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Nouveau dépôt par un ancien associé d’une marque récemment expirée / Dépôt frauduleux ? (NON)

Tribunal de l’UE, 4 juin 2025, T-199/24

La société TOYA DEVELOPMENT sollicite la nullité de la marque de l’UE « TOYA », déposée par l’un de ses anciens associés-fondateurs, peu après l’expiration de sa marque identique antérieure, non renouvelée.

Elle invoque la mauvaise foi du déposant au motif qu’il était toujours associé de la société au moment du dépôt et qu’il connaissait l’usage antérieur du signe TOYA.

Elle n’obtient satisfaction ni devant la Chambre de recours, ni devant le TUE :

➡️ Le déposant était bien associé de la société lors du dépôt litigieux. Toutefois, la relation commerciale et de confiance avait cessé dès 2014, date de résiliation du contrat de société.

La société avait alors été placée en liquidation judiciaire sous contrôle d’un liquidateur indépendant.

Dans ce contexte, les associés avaient clairement exprimé leur volonté de ne plus coopérer, excluant toute obligation réciproque de loyauté au moment du dépôt.

➡️ La marque antérieure TOYA avait expiré en mai 2017 et n’avait pas été renouvelée. Au jour du dépôt contesté, le signe TOYA était donc disponible, et aucun droit opposable ne pouvait être revendiqué.

➡️ Aucune preuve d’usage, ni démonstration d’une notoriété résiduelle n’a été produite par la requérante, ce qui empêche d’établir une quelconque stratégie de détournement du signe. Le Tribunal de l’UE rappelle effectivement qu’il est possible de prendre en compte le degré de notoriété du signe en cause au moment où son enregistrement a été demandé (CJUE 11 juin 2009, ‘Lindt’, C-529/07 ; TUE 8 mai 2014, ‘Simca’, T-327/12).

➡️ Le déposant avait contribué à la création du signe TOYA en 2007. Son dépôt, effectué quelques mois après l’expiration de la marque antérieure, s’inscrit dans une logique commerciale légitime, sans démonstration d’une volonté de nuire.

➡️ Le fait que le déposant n’exerçait pas encore d’activité dans le secteur visé ne suffit pas à établir sa mauvaise foi. Cette dernière ne se présume pas et doit être établie par des éléments objectifs et concordants.

Or ici, aucun élément n’a permis de renverser la présomption de bonne foi du déposant.

ELLE c. CCI ELLES / Risque de confusion (NON) / Atteinte à la renommée (NON)

Cour d’appel de Paris, 7 mai 2025, RG n°23/12877

HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, titulaire des marques semi-figuratives « ELLE », forme opposition à l’encontre de la marque verbale « CCI ELLES », déposée par la CCI France, estimant qu’il existe un risque de confusion ainsi qu’une atteinte à la renommée de l’une de ses marques, not. pour l’organisation de conférences, forums ou colloques.

Elle n’obtient satisfaction ni devant l’INPI, ni devant la Cour d’appel.

𝐒𝐮𝐫 𝐥𝐞 𝐫𝐢𝐬𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧

➡️ Le seul fait que deux signes partagent un élément verbal commun – en l’occurrence ELLE / ELLES – ne suffit pas à caractériser une similitude. Encore faut-il établir que cet élément est soit dominant dans l’impression d’ensemble, soit doté d’une position distinctive autonome.

➡️ Les signes renvoient tous deux à l’univers féminin, mais ils sont perçus différemment par le public pertinent. Le terme ELLE évoque une représentation générale et abstraite de la femme, tandis que le terme ELLES, dans le signe incriminé, désigne un public féminin ciblé, en lien avec les missions de la CCI.

➡️ La Cour souligne par ailleurs que l’élément CCI, placé en attaque, est intrinsèquement distinctif au regard des services visés et immédiatement identifié comme désignant une institution publique.

➡️ Surtout, l’élément ELLES ne présente aucune position distinctive autonome au sein du signe contesté. Il ne se détache ni conceptuellement, ni visuellement du sigle CCI avec lequel il forme un ensemble cohérent et significatif. Le public ne percevra pas ce signe comme une déclinaison de la marque ELLE, même si cette dernière bénéficie d’une forte notoriété dans le secteur de la presse.

𝐒𝐮𝐫 𝐥’𝐚𝐭𝐭𝐞𝐢𝐧𝐭𝐞 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐫𝐞𝐧𝐨𝐦𝐦𝐞́𝐞

➡️ La renommée de la marque ELLE est reconnue pour les magazines et certains services publicitaires mais elle ne s’étend pas aux services liés à l’organisation d’événements ou conférences.

➡️ Même en présence de services similaires, le signe CCI ELLES ne crée aucun lien dans l’esprit du public avec la marque ELLE, compte tenu des différences d’ensemble visuelles, phonétiques et conceptuelles identifiées entre les signes.

La Cour d’appel écarte également le grief d’atteinte à la renommée.

Œ𝐢𝐥 𝐝𝐞 𝐁𝐀 : Cette décision n’est pas définitive et un pourvoi peut encore intervenir.

Rappelons qu’un arrêt récent de la Cour de cassation du 5 juin 2024 avait déjà exclu l’atteinte à la marque de renommée (ELLE / JAMAIS SANS ELLE – lien en commentaire).

Sur la forme, la CA rappelle un point de procédure : le recours à l’encontre d’une décision de l’INPI statuant sur l’opposition à l’enregistrement d’une marque n’est pas un recours en réformation, mais un recours en annulation, dépourvu d’effet dévolutif.

La CA ne peut donc que ‘rejeter’ le recours ou ‘annuler’ la décision. Elle ne peut pas ‘confirmer’ cette décision, ni davantage se substituer à l’INPI en ‘statuant à nouveau’, que ce soit pour faire droit à l’opposition ou, à l’inverse, pour enregistrer la marque.

Usage d’une marque pour des cosméto-textiles et brumes composées d’huiles essentielles / Déchéance pour des cosmétiques et huiles essentielles (OUI)

Cour de cassation, Ch. Com, 14 mai 2025, RG n°23/21866

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt intéressant, publié au bulletin.

Le contexte de l’affaire est simple : après une demande en déchéance initiée avec succès devant l’INPI, puis confirmée par la Cour d’appel de Colmar, la marque « Skin’up » est frappée de déchéance partielle et ne reste enregistrée que pour les « huiles essentielles » et les « cosmétiques » en classe 3.

Devant la Cour de cassation, la soc. Univers pharmacie, à l’origine de la demande, soutient que la marque n’est pas davantage exploitée pour les huiles essentielles et les cosmétiques et qu’elle encourt la déchéance pour défaut d’usage sérieux pour ces produits.

Elle fait bien, car la Cour casse l’arrêt d’appel et rappelle certains principes.

Ce que l’on peut retenir :

➡️ Sur les huiles essentielles

Pour la Cour d’appel, la marque « Skin’up » était bien exploitée pour les huiles essentielles car les produits commercialisés sous cette marque – des cosméto-textiles et une brume amincissante – sont des cosmétiques qui comprennent dans leur composition des huiles essentielles.

Or, l’on ne saurait confondre les produits et leurs composants.

C’est en ce sens que va, sans surprise selon nous, l’arrêt de la Cour de cassation : les preuves d’usage de la marque pour des produits cosmétiques contenant des huiles essentielles ne peuvent en elles-mêmes valoir comme preuves d’usage pour les huiles essentielles.

➡️ Sur les cosmétiques

L’analyse est plus subtile car la demanderesse estimait que les produits litigieux devaient être considérés comme une sous-catégorie autonome de « cosméto-textiles amincissants », impliquant de prononcer la déchéance pour les autres produits de la catégorie « cosmétiques ».

La Cour d’appel ne l’avait pas entendu ainsi au motif que, même si le support est inhabituel, les produits cosméto-textiles et la brume sont bien des cosmétiques puisqu’ils ont un lien, directement ou indirectement, avec la peau ; au surplus, ce sont des textiles de soin permettant de mincir, achetés par le consommateur non pas pour le textile mais pour son effet qui rentre dans le champ de la définition du cométique.

Or, la Cour d’appel aurait dû rechercher, comme elle y était invitée, si les produits en cause destinés à procurer un effet amincissant par le port de vêtements, seuls produits pour lesquels il était justifié d’un usage sérieux, ne constituaient pas une sous-catégorie autonome au sein de la catégorie large des « cosmétiques ».

Ce faisant, la Cour de cassation fait écho à l’arrêt Ferrari de la CJUE auquel elle se réfère explicitement : si dans le libellé visé par la marque, les produits ou les services sont rassemblés au sein d’une catégorie large, susceptible d’être divisée en plusieurs sous-catégories autonomes, il est nécessaire d’exiger du titulaire, la preuve de l’exploitation de la marque pour chacune des sous-catégories autonomes. A défaut, cette marque peut être déchue pour les sous-catégories non exploitées.