Renommée des marques AZZARO pour du parfum (OUI) / Atteinte à leur renommée pour valoriser une gamme de vin (OUI)

Tribunal judiciaire de Paris, 18 juin 2025, RG n°21/15290

La société L’OREAL, titulaire de plusieurs marques AZZARO et d’une marque CHROME désignant notamment des produits cosmétiques ou des vêtements, assigne la société WINES AND BRANDS, spécialisée dans le négoce de vin, pour atteinte à la renommée de ses marques, ainsi qu’en parasitisme et pratiques commerciales trompeuses.

Elle lui reproche d’avoir effectué la promotion, sur son site internet, de bouteilles de vin revêtues du signe AZZARO et associées au signe CHROME, en évoquant un partenariat avec « la maison de luxe AZZARO ».

La société WINES AND BRANDS s’en défendait en se prévalant d’une licence exclusive consentie par une société tierce, sur une marque internationale AZZARO et une marque de l’UE, AZZARO.

Après que le JME eût prononcé, en cours d’instance, des mesures provisoires d’interdiction et d’exécution de mesures d’astreinte, par deux ordonnances distinctes, le tribunal confirme, au fond, l’atteinte à la renommée en ces termes :

➡️ La renommée des marques AZZARO est établie : selon une appréciation globale, conforme aux principes, le tribunal relève l’importance des investissements publicitaires réalisés par L’OREAL, l’usage ancien et constant de la marque, son rayonnement géographique, ainsi que son positionnement sur le marché du parfum (13ème parmi les marques de parfum en France entre 2018 et 2023).

➡️ La renommée de la marque CHROME est écartée : selon une motivation plus rapide et qui interroge quelque peu, le tribunal considère qu’il n’est pas démontré que cette marque exerce un pouvoir d’attraction propre, indépendant des produits qu’elle désigne.

➡️ La licence invoquée par WINES AND BRANDS est inopérante :
– la marque internationale AZZARO ne désigne ni la France, ni l’Union européenne,
– la marque de l’UE AZZARO n’est pas enregistrée, en raison d’une opposition encore pendante.
Ainsi, aucun droit d’usage du signe AZZARO ne peut être valablement revendiqué.

➡️ Le lien entre les vins promus et les marques AZZARO est caractérisé du fait de l’identité des signes. Cet usage sans autorisation vise à bénéficier de leur renommée et porte ainsi « préjudice à leur renommée et à leur caractère distinctif ».

➡️ L’atteinte à la renommée des marques AZZARO est caractérisée : les mentions sur le site litigieux – « estampillés par le célèbre couturier et parfumeur », « expression parfaite de la philosophie de la marque AZZARO et de ses parfums » – traduisent une volonté manifeste d’associer les vins à l’univers du luxe et de la parfumerie.

➡️ Les demandes fondées sur la concurrence déloyale et les pratiques commerciales trompeuses sont rejetées au motif que les faits reprochés ne sont pas distincts de ceux sanctionnés au titre de l’atteinte à la renommée.

Ce jugement peut encore faire l’objet d’un appel.

« La radio locale n°1 » / mention constitutive d’une publicité comparative illicite, faute de comparaison objective

Cour de cassation, ch.Com, 4 juin 2025, RG n°23/22511

La société MEDIA BONHEUR exploite la radio locale « RADIO BONHEUR », diffusée en Bretagne sur la bande FM. Depuis 2021, elle est classée première des radios locales dans sa zone selon les données Médiamétrie.

Estimant que la radio concurrente « J’AIME RADIO », diffusée dans le pays de Lorient, revendique de manière indue la qualité de radio locale n°1, MEDIA BONHEUR l’a assignée en référé.

Elle se fonde sur le caractère manifestement illicite de ces slogans utilisés sur différents supports : « J’AIME RADIO, la radio locale n°1 de Lorient », « J’AIME RADIO, la radio locale n°1 du pays de Lorient » ainsi que sur tout slogan attribuant à J’AIME RADIO la place de radio n° 1.

La Cour d’appel rejette la demande, retenant que la seule mention litigieuse, même répétée et/ou en gros caractères, ne saurait être regardée comme une affirmation chiffrée ou vérifiable relative à l’audience réelle de la station. Elle y voit plutôt une formule publicitaire de nature emphatique, valorisant de façon globale l’activité de la radio « J’AIME RADIO » (contenus locaux, jeux, podcast), sans pour autant revendiquer de manière objective et mesurable une supériorité d’audience sur la radio « RADIO BONHEUR ».

La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, ne l’entend pas ainsi et casse l’arrêt.

Elle retient que la mention telle que « La radio locale n°1 de Lorient, Bretagne Sud » constitue une publicité comparative en ce qu’elle implique un classement sur un marché géographiquement circonscrit, rendant les concurrents identifiables.

Cette comparaison ne compare pas objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces services, et ne satisfait donc pas aux conditions de licéité prévues par l’article L. 122-1 du code de la consommation.

𝐋’œ𝐢𝐥 𝐝𝐞 𝐁𝐀 : La jurisprudence est plutôt bien établie sur cette question. Lorsque, implicitement, un opérateur désigne par des allégations du type ‘n°1…’ ou ‘le vrai…’, l’un ou plusieurs de ses concurrents qui restent parfaitement identifiables sur le marché identifié, cette communication constitue une publicité comparative illicite, souvent qualifiée de dénigrante.

Appréciation de la concurrence déloyale / Le risque de confusion doit être analysé dans son ensemble et non élément par élément

Cour de Cassation, Ch. Com, 4 juin 2025, RG n°24/10219

La société L’Artisan Glacier, spécialisée dans la vente de glaces, reproche à ses anciens distributeurs la rupture brutale de leurs relations commerciales ainsi que des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, en incriminant la reprise concertée d’un visuel très proche de celui qu’elle utilise sur ses produits.

Elle leur reproche notamment :

▶️ la reprise de la dénomination « L’Artisan glacier » mentionnée de manière très apparente, avec une typographie identique,
▶️ l’usage d’un liseré extérieur avec les mêmes coloris,
▶️ une présentation du parfum et du volume en police équivalente,
▶️ la reproduction du logo avec les mêmes teintes.

La Cour d’appel avait rejeté ces demandes, retenant que l’expression « L’Artisan glacier » est descriptive, que le logo et les coloris ont été antérieurement exploités par l’un des distributeurs, que la forme des étiquettes et des pots résulte de contraintes techniques, et que les polices d’écriture utilisées sont banales.

Elle relevait en outre que la société L’Artisan Glacier n’explique pas en quoi la police d’écriture présente une spécificité participant de son identification ; qu’ainsi, la combinaison opposée s’inscrit dans les habitudes du secteur.

La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, casse cette décision par un arrêt, publié au Bulletin :

« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait, si la reprise de ces éléments, considérés dans leur ensemble, n’était pas de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public et, partant, à caractériser un acte de concurrence déloyale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Nouveau dépôt par un ancien associé d’une marque récemment expirée / Dépôt frauduleux ? (NON)

Tribunal de l’UE, 4 juin 2025, T-199/24

La société TOYA DEVELOPMENT sollicite la nullité de la marque de l’UE « TOYA », déposée par l’un de ses anciens associés-fondateurs, peu après l’expiration de sa marque identique antérieure, non renouvelée.

Elle invoque la mauvaise foi du déposant au motif qu’il était toujours associé de la société au moment du dépôt et qu’il connaissait l’usage antérieur du signe TOYA.

Elle n’obtient satisfaction ni devant la Chambre de recours, ni devant le TUE :

➡️ Le déposant était bien associé de la société lors du dépôt litigieux. Toutefois, la relation commerciale et de confiance avait cessé dès 2014, date de résiliation du contrat de société.

La société avait alors été placée en liquidation judiciaire sous contrôle d’un liquidateur indépendant.

Dans ce contexte, les associés avaient clairement exprimé leur volonté de ne plus coopérer, excluant toute obligation réciproque de loyauté au moment du dépôt.

➡️ La marque antérieure TOYA avait expiré en mai 2017 et n’avait pas été renouvelée. Au jour du dépôt contesté, le signe TOYA était donc disponible, et aucun droit opposable ne pouvait être revendiqué.

➡️ Aucune preuve d’usage, ni démonstration d’une notoriété résiduelle n’a été produite par la requérante, ce qui empêche d’établir une quelconque stratégie de détournement du signe. Le Tribunal de l’UE rappelle effectivement qu’il est possible de prendre en compte le degré de notoriété du signe en cause au moment où son enregistrement a été demandé (CJUE 11 juin 2009, ‘Lindt’, C-529/07 ; TUE 8 mai 2014, ‘Simca’, T-327/12).

➡️ Le déposant avait contribué à la création du signe TOYA en 2007. Son dépôt, effectué quelques mois après l’expiration de la marque antérieure, s’inscrit dans une logique commerciale légitime, sans démonstration d’une volonté de nuire.

➡️ Le fait que le déposant n’exerçait pas encore d’activité dans le secteur visé ne suffit pas à établir sa mauvaise foi. Cette dernière ne se présume pas et doit être établie par des éléments objectifs et concordants.

Or ici, aucun élément n’a permis de renverser la présomption de bonne foi du déposant.

ELLE c. CCI ELLES / Risque de confusion (NON) / Atteinte à la renommée (NON)

Cour d’appel de Paris, 7 mai 2025, RG n°23/12877

HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, titulaire des marques semi-figuratives « ELLE », forme opposition à l’encontre de la marque verbale « CCI ELLES », déposée par la CCI France, estimant qu’il existe un risque de confusion ainsi qu’une atteinte à la renommée de l’une de ses marques, not. pour l’organisation de conférences, forums ou colloques.

Elle n’obtient satisfaction ni devant l’INPI, ni devant la Cour d’appel.

𝐒𝐮𝐫 𝐥𝐞 𝐫𝐢𝐬𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧

➡️ Le seul fait que deux signes partagent un élément verbal commun – en l’occurrence ELLE / ELLES – ne suffit pas à caractériser une similitude. Encore faut-il établir que cet élément est soit dominant dans l’impression d’ensemble, soit doté d’une position distinctive autonome.

➡️ Les signes renvoient tous deux à l’univers féminin, mais ils sont perçus différemment par le public pertinent. Le terme ELLE évoque une représentation générale et abstraite de la femme, tandis que le terme ELLES, dans le signe incriminé, désigne un public féminin ciblé, en lien avec les missions de la CCI.

➡️ La Cour souligne par ailleurs que l’élément CCI, placé en attaque, est intrinsèquement distinctif au regard des services visés et immédiatement identifié comme désignant une institution publique.

➡️ Surtout, l’élément ELLES ne présente aucune position distinctive autonome au sein du signe contesté. Il ne se détache ni conceptuellement, ni visuellement du sigle CCI avec lequel il forme un ensemble cohérent et significatif. Le public ne percevra pas ce signe comme une déclinaison de la marque ELLE, même si cette dernière bénéficie d’une forte notoriété dans le secteur de la presse.

𝐒𝐮𝐫 𝐥’𝐚𝐭𝐭𝐞𝐢𝐧𝐭𝐞 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐫𝐞𝐧𝐨𝐦𝐦𝐞́𝐞

➡️ La renommée de la marque ELLE est reconnue pour les magazines et certains services publicitaires mais elle ne s’étend pas aux services liés à l’organisation d’événements ou conférences.

➡️ Même en présence de services similaires, le signe CCI ELLES ne crée aucun lien dans l’esprit du public avec la marque ELLE, compte tenu des différences d’ensemble visuelles, phonétiques et conceptuelles identifiées entre les signes.

La Cour d’appel écarte également le grief d’atteinte à la renommée.

Œ𝐢𝐥 𝐝𝐞 𝐁𝐀 : Cette décision n’est pas définitive et un pourvoi peut encore intervenir.

Rappelons qu’un arrêt récent de la Cour de cassation du 5 juin 2024 avait déjà exclu l’atteinte à la marque de renommée (ELLE / JAMAIS SANS ELLE – lien en commentaire).

Sur la forme, la CA rappelle un point de procédure : le recours à l’encontre d’une décision de l’INPI statuant sur l’opposition à l’enregistrement d’une marque n’est pas un recours en réformation, mais un recours en annulation, dépourvu d’effet dévolutif.

La CA ne peut donc que ‘rejeter’ le recours ou ‘annuler’ la décision. Elle ne peut pas ‘confirmer’ cette décision, ni davantage se substituer à l’INPI en ‘statuant à nouveau’, que ce soit pour faire droit à l’opposition ou, à l’inverse, pour enregistrer la marque.

Usage d’une marque pour des cosméto-textiles et brumes composées d’huiles essentielles / Déchéance pour des cosmétiques et huiles essentielles (OUI)

Cour de cassation, Ch. Com, 14 mai 2025, RG n°23/21866

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt intéressant, publié au bulletin.

Le contexte de l’affaire est simple : après une demande en déchéance initiée avec succès devant l’INPI, puis confirmée par la Cour d’appel de Colmar, la marque « Skin’up » est frappée de déchéance partielle et ne reste enregistrée que pour les « huiles essentielles » et les « cosmétiques » en classe 3.

Devant la Cour de cassation, la soc. Univers pharmacie, à l’origine de la demande, soutient que la marque n’est pas davantage exploitée pour les huiles essentielles et les cosmétiques et qu’elle encourt la déchéance pour défaut d’usage sérieux pour ces produits.

Elle fait bien, car la Cour casse l’arrêt d’appel et rappelle certains principes.

Ce que l’on peut retenir :

➡️ Sur les huiles essentielles

Pour la Cour d’appel, la marque « Skin’up » était bien exploitée pour les huiles essentielles car les produits commercialisés sous cette marque – des cosméto-textiles et une brume amincissante – sont des cosmétiques qui comprennent dans leur composition des huiles essentielles.

Or, l’on ne saurait confondre les produits et leurs composants.

C’est en ce sens que va, sans surprise selon nous, l’arrêt de la Cour de cassation : les preuves d’usage de la marque pour des produits cosmétiques contenant des huiles essentielles ne peuvent en elles-mêmes valoir comme preuves d’usage pour les huiles essentielles.

➡️ Sur les cosmétiques

L’analyse est plus subtile car la demanderesse estimait que les produits litigieux devaient être considérés comme une sous-catégorie autonome de « cosméto-textiles amincissants », impliquant de prononcer la déchéance pour les autres produits de la catégorie « cosmétiques ».

La Cour d’appel ne l’avait pas entendu ainsi au motif que, même si le support est inhabituel, les produits cosméto-textiles et la brume sont bien des cosmétiques puisqu’ils ont un lien, directement ou indirectement, avec la peau ; au surplus, ce sont des textiles de soin permettant de mincir, achetés par le consommateur non pas pour le textile mais pour son effet qui rentre dans le champ de la définition du cométique.

Or, la Cour d’appel aurait dû rechercher, comme elle y était invitée, si les produits en cause destinés à procurer un effet amincissant par le port de vêtements, seuls produits pour lesquels il était justifié d’un usage sérieux, ne constituaient pas une sous-catégorie autonome au sein de la catégorie large des « cosmétiques ».

Ce faisant, la Cour de cassation fait écho à l’arrêt Ferrari de la CJUE auquel elle se réfère explicitement : si dans le libellé visé par la marque, les produits ou les services sont rassemblés au sein d’une catégorie large, susceptible d’être divisée en plusieurs sous-catégories autonomes, il est nécessaire d’exiger du titulaire, la preuve de l’exploitation de la marque pour chacune des sous-catégories autonomes. A défaut, cette marque peut être déchue pour les sous-catégories non exploitées.

Marque semi-figurative désignant des « véhicules à moteurs, pneumatiques » / Distinctivité intrinsèque du signe (NON) / Rejet du dépôt (OUI)

Tribunal de l’UE, 19 mars 2025, T-400/24

La société Mercedes-Benz a déposé une marque de l’Union européenne semi-figurative, désignant notamment en classe 12 « les véhicules à moteur ; pneumatiques et roues ». La marque portait sur le dessin stylisé d’un véhicule tout-terrain gravissant une route escarpée.

La demande est rejetée par l’EUIPO puis par la chambre de recours, au motif que le signe est dépourvu de caractère distinctif au sens de l’article 7, §1, b) du règlement (UE) 2017/1001.

La requérante forme un recours devant le Tribunal de l’Union européenne, soutenant que l’existence du moindre caractère distinctif du signe, aussi faible soit-il, suffit à écarter ce motif absolu de refus et que l’appréciation du caractère distinctif ne saurait être subordonnée à un quelconque critère d’originalité, de créativité ou de nouveauté du signe.

Le TUE rejette le recours.

Il se fonde principalement sur le critère de ‘l’absence de divergence significative’ du signe de la norme ou des habitudes du secteur concerné. On retient les qqs points suivants de sa motivation :

➡️ Le signe constitue une représentation habituelle d’un véhicule tout-terrain gravissant une pente, sans message ni élément susceptible d’être perçu comme une référence à l’origine commerciale des produits concernés.

➡️ Il est immédiatement perçu par le consommateur comme une simple illustration des produits visés, sans susciter d’interrogations sur son origine ni sur le choix d’une représentation esquissée plutôt que détaillée.

➡️ L’argument selon lequel le caractère graphique du véhicule, proche d’un croquis, rendrait le signe frappant ou mémorable, est écarté : le Tribunal considère que la simplicité du dessin n’est pas de nature à détourner le consommateur de la perception ordinaire d’un véhicule tout-terrain et ne permet pas de distinguer ce signe des représentations couramment utilisées dans le secteur.

➡️ Il est encore rappelé que si le moindre caractère distinctif suffit en principe à rendre un signe éligible à l’enregistrement, encore faut-il que ce signe soit apte à remplir sa fonction essentielle d’identification d’origine, ce qui n’est pas ici le cas.

➡️ Enfin, la requérante ne fournit aucun élément permettant de démontrer un usage significatif du signe, au-delà de sa présentation dans un contexte publicitaire. En l’absence d’indications concrètes sur les pratiques du secteur ou sur des modalités d’usage particulières, l’argument tiré d’une appréciation incomplète du caractère distinctif est écarté.

Déchéance de la marque PARFUMS LANSELLE (OUI) / Pas de justes motifs : la relance imminente de la commercialisation des produits n’équivaut pas à une exploitation de la marque

Cour d’appel de Versailles, 5 mars 2025, RG 23/05640

La société FRANCE EXCELLENCE est titulaire depuis 2012 de la marque PARFUMS LANSELLE, déposée pour des savons, parfums ou cosmétiques en classe 3.

La déchéance totale de la marque a été prononcée par l’INPI pour défaut d’usage sérieux sur la période de référence (2017-2022).

La société FRANCE EXCELLENCE forme un recours à l’encontre de cette décision et soutient que la commercialisation de parfums est imminente mais qu’elle a été retardée en raison de « justes motifs » au sens de l’art. L.714-5 CPI.

𝐋𝐚 𝐂𝐨𝐮𝐫 𝐝’𝐚𝐩𝐩𝐞𝐥 𝐧𝐞 𝐥𝐚 𝐬𝐮𝐢𝐭 𝐩𝐚𝐬 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐬𝐨𝐧 𝐫𝐚𝐢𝐬𝐨𝐧𝐧𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐞𝐭 𝐫𝐞𝐣𝐞𝐭𝐭𝐞 𝐥𝐞 𝐫𝐞𝐜𝐨𝐮𝐫𝐬 :

➡️ Les pièces produites (attestations, factures d’achat de flacons anciens, photos de produits, documents historiques, etc.) traduisent un projet de relance, mais ne suffisent pas à établir un usage sérieux de la marque.

La Cour rappelle que seul un usage effectif, accessible au public, peut faire obstacle à la déchéance.

➡️ Les actes promotionnels invoqués (présentation de flacons dans un musée privé, participation à des salons promotionnels, mise en ligne d’un site internet) ne démontrent pas l’existence d’une commercialisation effective. Aucun élément chiffré, ni preuve de mise sur le marché n’a été apporté.

➡️ Trois justes motifs de non-usage étaient invoqués par la société FRANCE EXCELLENCE :

– la nature du produit nécessitant un développement long (conception du flacon, création du jus de parfum, tests olfactifs et dermatologiques, obligations règlementaires),

– la fermeture administrative des casinos en raison de la crise sanitaire du COVID-19, la clientèle visée par la marque étant celle des établissements de jeux,

– l’incertitude liée à la procédure d’attribution d’un casino en particulier.

➡️ Aucun de ces motifs n’est retenu.

La Cour estime que la complexité alléguée du développement du produit relève d’une appréciation subjective, non démontrée pour le secteur de la parfumerie, que l’impact de la pandémie ne présente pas de lien direct avec l’impossibilité d’exploiter la marque, et que le ciblage exclusif de la clientèle de casinos procède d’un choix stratégique, qui ne ressort pas du libellé de la marque.

La preuve d’un usage sérieux n’étant pas rapportée, aucun juste motif n’étant admis, la déchéance est confirmée pour l’ensemble des produits visés.

𝐋’Œ𝐢𝐥 𝐝𝐞 𝐁𝐀 : La preuve de « justes motifs » susceptibles de faire échec à une demande de déchéance est toujours appréciée strictement par les tribunaux, la décision rapportée en constitue un nouvel exemple. Csq : la marque « LANSELLE » déposée par la société FRAGANTIS en 2022, à l’origine de cette déchéance, devrait donc être enregistrée en France et l’opposition initiée à son encontre par la société PARFUMS LANSELLE sera donc sans objet. Le droit des marques est tout aussi stratégique que fragile, comme un château de cartes – si l’on ne s’en méfie pas, il peut s’effondrer sous le souffle d’un tiers bien avisé.

FACEBOOK c. FUCKBOOK / Atteinte à la renommée de la marque / Concurrence déloyale fondée sur des faits distincts de la contrefaçon

Cour de cassation, 26 mars 2025, RG 23/13589

La société META, exploitant le réseau social FACEBOOK, poursuit une société ayant exploité le signe FUCKBOOK pour désigner un site de rencontres à caractère sexuel. Elle invoque à cet effet l’atteinte à la renommée de ses marques, des faits de contrefaçon ainsi que des actes de concurrence déloyale et parasitaires.

La Cour d’appel de Paris accueille l’ensemble des demandes. La société mise en cause se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

𝐒𝐮𝐫 𝐥’𝐚𝐭𝐭𝐞𝐢𝐧𝐭𝐞 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐦𝐚𝐫𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐞 𝐫𝐞𝐧𝐨𝐦𝐦𝐞́𝐞

La défenderesse reprochait à la Cour d’appel d’avoir défini de manière trop générale le public de référence, en retenant « le public qui utilise les réseaux sociaux » sans l’identifier précisément.

Le moyen est balayé car il relève de l’appréciation souveraine des juges du fond de retenir que le public du site FUCKBOOK, majoritairement composé d’adultes de sexe masculin, est inclus dans le public plus large des utilisateurs du réseau social FACEBOOK.

𝐒𝐮𝐫 𝐥𝐚 𝐜𝐨𝐧𝐜𝐮𝐫𝐫𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐝𝐞́𝐥𝐨𝐲𝐚𝐥𝐞 : 𝐝𝐞𝐬 𝐟𝐚𝐢𝐭𝐬 𝐣𝐮𝐫𝐢𝐝𝐢𝐪𝐮𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐢𝐬𝐭𝐢𝐧𝐜𝐭𝐬

La défenderesse soutenait que les actes de concurrence déloyale reposaient sur des faits déjà sanctionnés au titre de la contrefaçon.

La Cour de cassation rappelle sa position constante :

➡️ La contrefaçon et la concurrence déloyale peuvent être invoquées simultanément sous réserve de reposer sur des faits distincts. Un même acte matériel peut fonder des qualifications différentes s’il porte atteinte à des droits de nature différente.

En l’espèce, la marque, le nom commercial et le nom de domaine constituent des attributs distincts, protégés par des régimes juridiques différents.

➡️ Par ailleurs, en application du principe de la réparation intégrale, les D&I doivent réparer intégralement le préjudice subi sans qu’il n’en résulte ni perte ni profit pour la victime, mais un même préjudice ne peut faire l’objet d’une double indemnisation.

➡️ L’utilisation du signe FUCKBOOK, tant à titre de nom commercial que de noms de domaine, crée un risque de confusion avec le nom commercial et le nom de domaine FACEBOOK. Ces atteintes, relevant de la concurrence déloyale, sont bien distinctes de la contrefaçon de marque, et ont occasionné un préjudice distinct.

Œ𝐢𝐥 𝐝𝐞 𝐁𝐀 : L’arrêt est publié au Bulletin et il est déjà commenté dans la Lettre de la Chambre commerciale (mars 2025) : « L’apport de l’arrêt réside dans la précision selon laquelle le même signe, utilisé par un tiers, peut caractériser des atteintes à des droits de nature différente (…) ». Ainsi, « le titulaire de droits distincts a le droit d’obtenir protection contre les atteintes portées à chacun de ses droits ». La solution reste classique mais elle est sans doute bonne à rappeler.

Dépôt d’une marque de couleurs (combinaison rouge et blanc) pour des biscuits / Rejet faute de distinctivité intrinsèque

TUE, 26 mars 2025, T-1096/23

La société LOTUS BAKERIES, commercialisant notamment des spéculoos, a sollicité l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne portant sur un signe composé de bandes rouges et blanches, dans un agencement spécifique.

Ce signe était destiné à couvrir une large gamme de produits sucrés en classe 30 : biscuits, pâtisseries industrielles, crèmes glacées, produits à base de chocolat, etc.

L’EUIPO, puis la chambre de recours, ont rejeté cette demande au motif que la marque était dépourvue de caractère distinctif.

𝐋𝐞 𝐭𝐫𝐢𝐛𝐮𝐧𝐚𝐥 𝐝𝐞 𝐥’𝐔𝐧𝐢𝐨𝐧 𝐄𝐮𝐫𝐨𝐩𝐞́𝐞𝐧𝐧𝐞, 𝐬𝐚𝐢𝐬𝐢 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐪𝐮𝐞𝐬𝐭𝐢𝐨𝐧, 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐢𝐫𝐦𝐞 𝐜𝐞𝐭𝐭𝐞 𝐩𝐨𝐬𝐢𝐭𝐢𝐨𝐧.

En matière de marques composées d’une combinaison de couleurs, il rappelle :

➡️ Une combinaison de couleurs peut être distinctive si elle est apte à véhiculer des informations précises, notamment quant à l’origine commerciale d’un produit ou d’un service.

➡️ Cette appréciation doit être conduite au regard des produits visés et de la perception du public pertinent, tout en tenant compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les concurrents.

➡️ Le caractère distinctif d’une combinaison de couleurs n’est pas apprécié comme celui d’une marque verbale ou figurative : pour être distinctive, elle doit retenir l’attention du consommateur et s’individualiser suffisamment dans le secteur concerné.

Application au cas d’espèce :

➡️ Sur le signe en lui-même : La combinaison revendiquée, composée de bandes rouges et blanches selon un agencement symétrique, ne présente pas de complexité particulière, ni d’élément de nature à attirer spontanément l’attention du consommateur.

➡️ Sur les couleurs exploitées : Le rouge et le blanc sont couramment utilisés dans le secteur des biscuits, chocolats et pâtisseries. Ils sont associés à des emballages visuellement attrayants ou à des saveurs spécifiques. Ils remplissent ainsi une fonction décorative, promotionnelle ou fonctionnelle, et non une fonction d’identification d’origine.

➡️ Sur la prétendue constance d’usage : L’usage antérieur du signe (même constant) n’est pas pertinent pour l’appréciation du caractère intrinsèquement distinctif. Une éventuelle distinctivité acquise par l’usage relève d’un autre fondement juridique et suppose une démonstration spécifique.

Dès lors, la combinaison de bandes rouges et blanches, même agencée de façon systématique, n’est pas perçue comme un indicateur d’origine par le public pertinent. Elle ne se distingue pas suffisamment d’autres combinaisons similaires, courantes dans le secteur, et ne permet pas d’identifier les produits comme provenant d’une entreprise déterminée.