Cour d’appel Versailles 26 janvier 2017, n° 15/01073
En 2009, la société Monoprix décidait de moderniser l’identité visuelle de ses produits en modifiant la charte graphique de sa marque distributeur. Ayant eu recours aux services de l’agence de communication Havas, la célèbre enseigne de supermarchés lança l’année suivante un nouveau packaging aux messages humoristiques décalés et aux couleurs et caractères accrocheurs, aujourd’hui très connu de l’ensemble des consommateurs.
La société Be Pôles, qui indiquait avoir développé en 2007 l’image marketing de la société Delo à travers la conception d’emballages originaux, estimait que la société Monoprix s’était largement inspirée de sa création et l’a assignée aux côtés de son agence de communication en contrefaçon de droits d’auteur, subsidiairement en parasitisme et concurrence déloyale.
Selon la société Be Pôles, les conditionnements adoptés par les deux parties présentaient des similitudes telles qu’on ne pouvait prétendre à une coïncidence, d’autant plus que la société Monoprix avait elle-même distribué les bouchons capsules aux extraits de plantes Delo et connaissait donc l’identité visuelle de ses packagings.
La demanderesse soulignait encore que des articles de presse faisaient état de ces similitudes et que la société Delo avait fait l’objet de pressions de la part de la société Monoprix l’ayant finalement contrainte à modifier sa propre charte graphique.
Emballages Monoprix
Source : Google
Emballages Delo
Source : Google
La Cour d’appel de Versailles, confirmant le jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre en toutes ses dispositions, a rejeté l’intégralité des demandes et arguments de la société Be Pôles.
Statuant sur la question de l’atteinte aux droits d’auteur, la Cour, après avoir rappelé que la protection par le droit d’auteur peut s’appliquer à une charte graphique dès lors que celle-ci est originale, a jugé d’une part que les caractéristiques revendiquées n’étaient pas suffisamment précises, d’autre part que la charte ne révélait aucune originalité, à défaut de porter l’empreinte de la personnalité de son auteur.
Pour parvenir à cette dernière conclusion, la Cour s’est montrée particulièrement sensible aux pièces communiquées par la société Monoprix, lesquelles révélaient l’existence de plusieurs utilisations antérieures des caractéristiques revendiquées : des messages écrits en lettres majuscules larges et compactes, sous des couleurs différentes ou sur des fonds différents, des couleurs vives, une police proche, une couleur associée à chacun des produits :
Source : Google
C’est sur la base des différentes antériorités produites que les juges du fond ont considéré que l’agence Be Pôles n’a fait que « suivre une tendance en vogue, y compris pour des produits alimentaires », excluant dès lors que l’identité visuelle des packagings Delo puisse bénéficier de la protection par le droit d’auteur.
Concernant le grief de parasitisme, il est jugé que la société Monoprix n’a commis aucune faute en diffusant sa nouvelle charte graphique. La Cour a certes relevé les points communs qu’elle présente avec celle des produits Delo mais s’est attachée à énoncer précisément leurs différences qui sont « majeures » et qui n’ont pu conduire à la banalisation des conditionnements caractéristiques de la société Delo : parmi celles-ci, les slogans figurant sur les emballages, différents dans leur nature et leur contenu, ceux de Monoprix recourant à un humour décalé fondé sur l’autodérision (« Chez Monoprix, on est parfois à l’ouest » pour des cheeseburger), ceux des produits Delo étant plus conventionnels ou descriptifs (« Effet bien-être », « Effet doré ») ou les mots présents sur les emballages, avec une césure sur les emballages Monoprix, d’un seul tenant et sur une même ligne sur les produits Delo.
La Cour a enfin souligné que la société Monoprix a justifié de ses propres investissements pour la création de sa charte graphique et qu’au regard de l’ensemble de ces éléments, elle ne s’est ni inspirée, ni n’a copié le travail invoqué, ne s’est ni placée dans le sillage des produits Delo, ni n’a profité des investissements réalisés.
Le grief de concurrence déloyale est, sans surprise dans ce contexte, rejeté, les produits en cause ne présentant pas de ressemblances suffisantes pour caractériser un risque de confusion.
La reprise ou non d’une charte graphique, son originalité, sont des questions de fait, soumises à l’appréciation souveraine des juges du fond. Souvent débattues devant les Tribunaux, elles donnent généralement lieu, comme en cette affaire, à une analyse minutieuse de l’art antérieur afin de déterminer si le demandeur a véritablement fait œuvre créatrice ou s’il n’a fait que s’inscrire dans les tendances du moment.