TGI Paris, 15 septembre 2016, n°14/10978 Dyson Technology Limited c/ Mediclinics (non définitif)
S’il ne fallait retenir, ces derniers temps, qu’un jugement en matière de Dessins et Modèles Communautaires, bien qu’il ne soit pas définitif, nous choisirions celui-ci. D’une motivation soignée, en fait comme en droit, il tranche le litige en contrefaçon de dessin et modèle et droit d’auteur qui opposait la société Dyson Technology Limited à la société Mediclinics. La société Dyson estimait que le sèche-mains vertical à rideaux d’air de cette dernière constituait une contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle.
Modèle enregistré Dyson
Source : Jugement du 15 sept. 2016, p. 3
Dessin et photo du produit «DualFlow» de Mediclinics
Source : Google
Le Tribunal considère que le modèle est protégé par le droit des dessins et modèles mais pas par le droit d’auteur et écarte la contrefaçon au motif qu’ « aucune des caractéristiques dominantes du modèle n’est reprise dans le produit de la société Mediclinics SA dont l’allure générale est beaucoup plus élancée et allongée et encore plus épurée que celle que confère à l’apparence du modèle la combinaison de ces dernières ».
Les premiers juges ont dû se pencher sur tous les points de droit qui ont fait débat ces dernières années : le « caractère individuel », l’« utilisateur averti », le caractère « exclusivement fonctionnel » ou non du modèle revendiqué et l’absence de cumul automatique de protection par le droit des dessins et modèles et le droit d’auteur.
Notre attention s’est portée sur l’utilisateur averti et l’appréciation du caractère individuel du modèle Dyson.
Un dessin ou modèle est doté d’un « caractère individuel » dès lors que l’impression globale qu’il produit sur l’ « utilisateur averti » diffère de celle suscitée par tout autre dessin ou modèle pris isolément. Cette appréciation suppose de tenir compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.
Pour le Tribunal, l’utilisateur averti n’est ici ni le fabricant du produit, ni un professionnel dans le domaine des sèche-mains, ni l’utilisateur final du produit qui n’en aura qu’un usage ponctuel mais le propriétaire ou l’exploitant de lieux fréquentés par le public qui souhaite équiper les sanitaires de son établissement d’un tel dispositif.
L’élimination du fabricant, du professionnel et de l’utilisateur final n’allait pas de soi et nous semble intéressante car il est plutôt habituel que les plaideurs et les Tribunaux ne s’interrogent pas particulièrement sur ce point et incluent facilement les professionnels et surtout les usagers finaux du produit dans la catégorie des utilisateurs avertis.
Quoiqu’il en soit, le jugement ne s’en arrête pas là et rappelle que « l’utilisateur est par définition averti et connaît de ce fait l’art antérieur en matière de sèche-mains et observera le produit sous tous ses angles apparents dans des conditions d’utilisation normale et qui ne se réduisent pas à sa face supérieure ».
S’agissant du caractère individuel du modèle Dyson, le Tribunal détermine quelles en sont les caractéristiques dominantes pour conclure que « combinées, celles-ci confèrent au modèle une forme épurée et nettement galbée en sa partie supérieure qui contraste avec sa partie inférieure plus anguleuse et moins imposante », écartant les antériorités produites par Mediclinics.
Il expose enfin que l’appréciation du caractère individuel « repose sur un examen du modèle tel qu’il est représenté dans l’enregistrement dans toutes les caractéristiques marquantes pour l’utilisateur averti qu’il comporte » et non sur celles que le titulaire cherche à isoler pour favoriser le succès de son action.
L’analyse effectuée ici par les juges français du caractère individuel n’est pas sans rappeler celle des juges communautaires, même si l’on n’en retrouve pas explicitement toutes les étapes.
Pour mémoire, le Tribunal de l’UE apprécie ce caractère individuel au terme d’un examen dit « en 4 étapes », élaboré au fil de sa jurisprudence (TUE 18 mars 2010, aff. T-9/07, Grupo Promer Mon Graphic c/ OHMI-PepsiCo, pts 54 à 84 ; TUE 28 janv. 2015, aff. T-41/14 ; très récemment : TUE 18 juillet 2017, aff. T-57/16) consistant à déterminer :
- le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou à être appliqué ;
- l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur, ainsi que le niveau d’attention dans la comparaison, directe si possible, des dessins ou modèles ;
- le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle ;
- le résultat de la comparaison des dessins ou modèles en cause, en tenant compte du secteur concerné, du degré de liberté du créateur et des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public.
L’application du test en quatre étapes par les juridictions nationales (Allemagne, Benelux, Italie et Espagne) sera abordée lors de la prochaine Conférence Apram du 29 septembre 2017.