La loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon (Loi YUNG) dont nous vous parlions ici et ici est notamment intervenue pour clarifier et mettre fin à des incertitudes jurisprudentielles concernant le droit à l’information prévu désormais aux articles L.331-1-2 (droit d’auteur), L.521-5 (dessins et modèles), L.615-5-2 (brevets) et L.716-7-1 (marques) ainsi rédigés :
Si la demande lui en est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue aux livres I, II, III, V, VI et VII du Code de la Propriété Intellectuelle peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des marchandises et services / produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services / produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.
La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime.
L’application de ces nouvelles dispositions depuis près de deux ans permet de dégager les réflexions suivantes :
• Compétence du JME : s’appuyant sur la rédaction des articles précités qui désigne « la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile » pour ordonner la communication de pièces, certains défendeurs ont soulevé, en vain, l’irrecevabilité des demandes formées devant le Juge de la mise en état (JME).
En effet, selon l’article 763 CPC, le JME est « un magistrat de la chambre à laquelle elle a été distribuée » désigné pour instruire l’affaire : il fait corps avec la juridiction dont il garantit la mise en état des dossiers, il n’en est qu’une émanation.
Son rôle n’a évidemment de sens que dans la perspective de l’instance au fond qu’il prépare.
En outre, indépendamment des dispositions spécifiques (CPI), le JME tient des articles 138, 142 et 770 CPC le pouvoir d’ordonner aux parties/tiers la production de documents utiles.
Cette interprétation est conforme à la lettre et l’esprit de la loi YUNG qui a consacré la mise en œuvre de ce droit d’information avant même que la contrefaçon n’ait été judiciairement établie : le JME est donc parfaitement compétent pour se prononcer, au cours de l’instruction de l’affaire, sur une demande de production de pièces formée sur le fondement des articles L.331-1-2, L.521-5, L.615-5-2 et L.716-7-1 CPI.
• Extension de l’objet du droit à l’information : dans leur version antérieure issue de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, les articles précités prévoyaient une liste des documents ou informations pouvant être sollicités que certains considéraient comme limitative.
Afin de renforcer l’efficacité du droit à l’information, la loi YUNG a supprimé cette liste pour permettre à la juridiction saisie d’ordonner la production de « toute information et tout document jugés pertinents ».
L’objet du droit à l’information se trouve donc aujourd’hui élargi ; il porte « tant sur les éléments nécessaires à la détermination des maillons de la chaîne prétendue contrefaisante que ceux utiles à la détermination de l’étendue de la contrefaçon invoquée et du préjudice éventuellement subi »
(v. Ord. TGI Paris, des 7 mai 2015 n°13/17620 et 22 oct. 2015, n°14/11386).
• Contrôle du Juge : les mesures sollicitées dans le cadre de l’exercice du droit à l’information, si elles sont moins intrusives que ne l’est la procédure de saisie-contrefaçon, sont néanmoins rigoureusement soumises à l’appréciation du Juge.
Celui-ci apprécie les circonstances de l’espèce et le caractère vraisemblable de la contrefaçon ; il s’assure que la production des informations ne porte pas une atteinte excessive ou disproportionnée aux intérêts du défendeur.
Le demandeur doit pouvoir démontrer, outre sa titularité sur les droits invoqués, l’existence d’une éventuelle contrefaçon et ce par tout moyen de preuves, la saisie-contrefaçon n’étant plus un préalable nécessaire à une telle demande.
L’exercice du droit à l’information est parfois exclu quand :
- – la demande tend en réalité à enjoindre au contrefacteur allégué de donner des informations sur des actes que le demandeur ne connait pas (actes distincts de contrefaçon) – et donc à s’auto-dénoncer
(v. pour ex. ord. JME TGI Paris, 21 mai 2015, n° 14/11007) - – le juge le considère, au stade de la mise en état, prématuré : le Juge rappelle toutefois que ces demandes d’informations « pourront être décidées par le juge du fond une fois qu’il aura statué sur l’existence de la contrefaçon alléguée et s’il l’estime utile pour évaluer le préjudice »
(ord JME, TGI Paris, 18 juin 2015, n°13/17244) - – la demande revêt un caractère très général qui s’apparente à une mesure d’investigation dépassant le simple droit à l’information, alors qu’il n’est pas encore établi que les produits listés sont tous concernés
(ord JME TGI Paris, 15 oct. 2015, n°14/12564) - – la demande est disproportionnée et de nature à porter atteinte au secret des affaires
(Ord JME TGI Paris, 7 mai 2015, n°13/17620) - – enfin, le Juge refuse généralement l’exercice de ce droit pour pallier la carence du demandeur dans l’administration de la preuve. Les mesures sollicitées doivent avoir pour seul objectif de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent atteinte aux droits du demandeur.
La Loi YUNG a incontestablement facilité l’exercice du droit à l’information en permettant qu’il soit actionné indépendamment de toute procédure de saisie-contrefaçon, devant le JME notamment, et a étendu son objet en supprimant la liste des documents ou informations pouvant être demandés.
Toutefois, les informations sollicitées sont toujours appréciées au regard des éléments versés au débat et le Juge veille strictement à leur caractère proportionné.