CA Paris 14 juin 2019 n°17/21460
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 juin 2019 a retenu notre attention tant sur l’appréciation de la renommée de la marque CORA que sur celle du risque de confusion entre les signes verbaux CORA et CORAVIN. Il ne s’agit que d’une partie des points de droit soulevés dans cette affaire aux problématiques plus larges.
La société Cora, filiale de la société de droit belge Louis Delhaize Financière et de Participation (Delfipar), exerçant dans le domaine de la grande distribution, est titulaire de nombreuses marques dont le signe verbal CORA enregistré le 5 décembre 1974, dûment renouvelé, pour désigner divers produits et services notamment en classes 8 et 21 « outils et instruments à main, coutellerie, fourchettes et cuillères ; petits ustensiles et récipients portatifs pour le ménage et la cuisine (non en métaux précieux ou en plaqué), à l’exception des appareils à faire le café ».
La société Cora a assigné la société de droit américain Coravin devant le TGI de Paris lui reprochant en particulier d’exploiter le signe CORAVIN pour désigner un dispositif qui se place sur une bouteille de vin permettant de la servir sans retirer le bouchon.
Outre des actes de contrefaçon, la société Cora invoquait une atteinte à la renommée de sa marque et se fondait ainsi sur les articles L.713-3 et L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Par arrêt confirmatif du 14 juin 2019, la Cour d’appel estime que la société Cora n’a subi aucune atteinte à ses droits de propriété intellectuelle et la déboute de l’intégralité de ses demandes (voir le jugement du TGI Paris du 19 octobre 2017 n°15/15158).
1. L’appréciation de la renommée de la marque CORA
D’après la jurisprudence, une marque est considérée comme renommée lorsqu’elle est connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par cette marque. Les juridictions doivent prendre en compte tous les éléments pertinents tels que les parts de marché détenues par la marque, l’intensité, la durée et l’étendue géographique de l’usage, l’importance des investissements réalisés pour la promouvoir (CJUE 14 septembre 1999, General Motors Corporation, C-375/97).
La société Cora, qui soutenait que sa marque était renommée sur le territoire français et bénéficiait de ce fait d’une protection allant au-delà du principe de spécialité, produisait pour en justifier différents sondages/enquêtes de notoriété réalisés en 2012, 2014 et 2018, des classements, des éléments relatifs à son chiffre d’affaires et aux produits commercialisés sous sa marque ainsi que les importants investissements réalisés pour la promouvoir.
La Cour comme le Tribunal ont considéré que la renommée alléguée était en réalité celle de l’enseigne, effectivement connue, mais pas celle de la marque.
On notera en particulier que les sondages, réalisés dans la zone de chalandise principale de la société, n’ont pas été considérés comme suffisamment probants : « S’il peut être admis que la connaissance de l’enseigne Cora ou de son activité d’hypermarché/supermarché sur sa zone de chalandise ne peut qu’amener spontanément sa clientèle, limitée à moins de la moitié de la clientèle du territoire métropolitain, à comprendre que l’apposition sur partie des produits et services qu’elle propose dans le cadre de cette activité portant mention du signe éponyme ‘cora’ en identifie l’origine, il ne peut en être déduit que la marque Cora est notoirement connue en France par le public concerné par les produits et services commercialisés par ce type de distributeur » (arrêt p.8).
Malgré les nombreuses pièces versées au débat, la société Cora ne parvient donc pas à démontrer que sa marque est renommée sur le territoire français, ce qui l’empêche de se prévaloir du bénéfice de l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Cet arrêt illustre la difficulté pour une enseigne de parvenir à dissocier cette dernière de la marque qu’elle exploite sous le même terme pour commercialiser des produits et services et de justifier de la notoriété de l’une par rapport à l’autre.
2. L’appréciation du risque de confusion entre les marques CORA et CORAVIN
La Cour d’appel confirme le jugement en ce qu’il a écarté le risque de confusion entre les signes CORA et CORAVIN, tout en n’adoptant pas le même raisonnement que celui du Tribunal.
S’agissant de la comparaison des produits, alors que les premiers juges ont considéré que les produits commercialisés par la société Coravin ne présentaient qu’un faible degré de similitude avec les produits désignés par la marque antérieure (petits ustensiles de cuisine), la Cour considère, quant à elle, que les produits sont identiques, à tout le moins similaires.
S’agissant des signes, c’est non sans surprise selon nous qu’il a été jugé que les ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles, liées à la dénomination commune CORA – laquelle constitue en outre l’unique élément de la marque antérieure – sont neutralisées par la seule présence de l’élément VIN disposé à la fin du signe contesté.
La Cour d’appel relève pour l’essentiel que le rapport d’étude de 2016 communiqué par la société Cora établissant que « dans sa zone de chalandise, 2/3 des répondants évoquent Cora comme lieu où l’on peut acheter les produits Coravin » ne permettait pas pour autant d’établir un risque de confusion dès lors que l’enseigne « est connue comme un généraliste de la distribution qui commercialise toutes sortes de marques de produits y compris pour des ustensiles pour la cuisine ou des instruments à main » et que les résultats de la recherche effectuée sur le moteur de recherche Google à partir des termes ‘cora’ et ‘vin’ démontrent que les produits des deux sociétés sont distincts.
Elle en conclut que les signes produisent « une impression d’ensemble suffisamment différente (…) dans l’esprit du consommateur d’attention moyenne, normalement informé et raisonnablement avisé, lequel ne serait pas fondé à considérer la marque seconde comme une déclinaison de la marque première et attribuer aux produits couverts par la marque Cora en cause et à ceux exploités sous la dénomination Coravin une origine commune ni à les associer comme provenant d’entreprises économiquement liées ».
L’analyse du risque de confusion réalisée par la Cour d’appel de Paris nous paraît bien trop sévère et, à vrai dire, ne nous convainc guère.
A notre sens, il aurait pu être jugé du contraire : la désinence VIN de la marque seconde, faiblement distinctive au regard des produits en cause, ne peut à elle seule neutraliser les ressemblances d’ensemble visuelles, phonétiques et conceptuelles des signes qui débutent tous deux par le terme distinctif CORA et qui désignent des produits identiques et similaires.
Le principe d’appréciation globale comme celui d’interdépendance des facteurs nous semblent avoir été quelque peu malmenés. Cet arrêt n’est pas définitif, un pourvoi est en cours d’examen devant la Cour de cassation.