CA Paris 26 mai 2017 – RG 16/06791 (non définitif)
Par un arrêt non définitif du 26 mai 2017, déjà commenté à plusieurs reprises, la Cour d’appel de Paris a jugé que la marque semi-figurative « Scootlib » ne constituait ni un dépôt frauduleux qui porte atteinte aux intérêts de la Ville de Paris, ni une contrefaçon de la marque « Vélib’ ».
La Ville de Paris est titulaire de la marque « Vélib’ », enregistrée en France en 2008 en classes 1 à 45 et exploite sous ce même signe, des bicyclettes et un service de mise à disposition en libre-service de ces dernières.
En 2014, elle a sollicité en justice l’annulation de la marque « Scootlib », déposée notamment pour des véhicules le 9 octobre 2007 par une société luxembourgeoise OLKY International, considérant que cette marque venait en fraude de ses droits et qu’elle contrefaisait en toute hypothèse sa marque de renommée « Vélib’ ».
La société OLKY Int. contestait ces demandes et invoquait, à titre reconventionnel, la nullité de la marque « Scootlib’ Paris » déposée par la Ville de Paris le 22 décembre 2011 en cequ’elle portait atteinte à sa marque antérieure « Scootlib ».
Pourquoi la fraude est-elle écartée ?
La Ville de Paris se prévalait d’une part d’un projet « Scootlib’ » antérieur au dépôt effectué par la société luxembourgeoise, d’autre part de la notoriété « exceptionnelle » de son service « Vélib’ » et en déduisait que la partie adverse ne pouvait ignorer ce succès et était animée d’une intention maligne au moment du dépôt de la marque « Scootlib’ ».
La Cour d’appel ne l’entend pas ainsi.
On sait qu’en application de l’article L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle et de la jurisprudence française, la fraude est caractérisée dès lors que la marque critiquée a été enregistrée, non pas pour distinguer des produits ou services et identifier une originedéterminée, mais pour priver un concurrent d’un signe nécessaire à son activité et/ou nuire à ses intérêts (Cass. com., 11 janvier 2017, n°15-15.750 ; Cass. com., 2 fév. 2016, n°14-24.714).
D’après la jurisprudence communautaire, la mauvaise foi du demandeur s’apprécie de manière globale, d’après tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement. Il est ainsi tenu compte de la connaissance du demandeur de l’existence des droits ou des intérêts fraudés mais également son « intentionau moment du dépôt de la demande d’enregistrement » de la marque (CJUE, 1ère chambre, 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, aff. C-529/07).
En l’espère, la Cour d’appel ne dit mot de la notoriété de la marque « Vélib’ » – peut-être parce qu’elle n’était pas établie en 2007 au moment du dépôt de la marque critiquée – et se penche principalement sur le projet « Scootlib’ » revendiqué par la Ville de Paris dont elle écarte la pertinence.
Selon la Cour en effet, l’idée de développer un service de location temporaire de scooters n’a été publiquement évoquée par la Ville de Paris que le 21 novembre 2007, soit quelques semaines après le dépôt de la marque « Scootlib » sans qu’aucun article de presse n’en ait fait état précédemment.
La connaissance du projet parisien « Scootlib’ » par la société OLKY Int. n’était donc pas établie au jour du dépôt de la marque litigieuse et la seule existence du service « Vélib’ » ne pouvait suffire à déduire que la Ville de Paris viendrait à décliner ce service pour des scooters.Aucune intention de nuire ne semblait ainsi caractérisée.
Pourquoi la contrefaçon par imitation n’est-elle pas retenue ?
La Ville de Paris estimait qu’il existait un risque de confusion entre les marques « Vélib’ » et « Scootlib » sur le fondement de l’article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle.
Bien que les signes présentaient une certaine proximité du fait de leur terminaison « lib » et pouvaient laisser croire que le second n’était qu’une déclinaison du premier, cette éventuellecontrefaçon par imitation n’a pas été examinée.
La société luxembourgeoise a en effet excipé de la forclusion par tolérance et conclu enconséquence à l’irrecevabilité de la Ville de Paris.
On rappellera qu’en application des articles L.714-3 et L.716-5 CPI, l’action en contrefaçon ou en nullité d’une marque est irrecevable si l’usage de cette dernière a été toléré pendant cinq ans. La société OLKY Int. démontrait à cet égard que son service « Scootlib » était connu et exploité depuis 2007/2008, ce qui a permis à la Cour de considérer que « la coexistence des deux marques en cause dans un même secteur d’activité rendait impossible leur ignorance par la Ville de Paris ».
La jurisprudence française s’est prononcée à diverses reprises en ce même sens et a retenul’existence d’une forclusion par tolérance en raison de la situation concurrentielle des deux entreprises titulaires des marques en litige (Cass. com., 5 juillet 2016, n°14-18.540 ; Cass. com., 6 mars 2007, n°05-13.160 ; CA Paris, 28 févr. 2014, n°12/17880).
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Dans ce contexte, la Cour a logiquement fait droit à la demande reconventionnelle de la société luxembourgeoise et jugé que la marque de la Ville de Paris « Scootlib’ Paris » portait atteinte à la marque antérieure « Scootlib ».
Cet arrêt, en droit, s’inscrit à notre sens dans une jurisprudence classique. Nous verrons si la Cour de cassation identifie un moyen de droit pertinent susceptible d’en justifier la censure.
L’arrêt interpelle d’ores et déjà et rappelle combien il est essentiel de définir le plus en amont possible sa stratégie de marque. Il peut s’avérer fort judicieux de décliner une marque principale en différentes sous-marques qui présentent toutes une séquence commune, de manière à créer une « famille de marques ». MAC DONALD en a récemment tiré le plus grand bénéfice en empêchant un tiers, sur la base de sa famille de marques composée de la séquence « Mac », de détenir la marque MACCOFFEE (TUE-518/13, 5 juillet 2016).