TGI PARIS, 17 JANVIER 2014, n°11/10541
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a sévèrement condamné la société éditrice d’un magazine pour avoir reproduit des photographies de Laëtitia Casta « enlaçant et chevauchant » cinq sculptures d’Aristide MAILLOL. Les ayants droit de l’artiste mort en 1944 ont obtenu la somme de 50 000 euros au titre des droits patrimoniaux et 50 000 euros au titre des droits moraux.
Bertrand et Olivier LORQUIN tiennent de leur mère Madame KLEIN VON DIEPOLT (Dina VIERNY) le soin de protéger de toute atteinte les œuvres d’Aristide MAILLOL.
Ils ont confié à la société des Auteurs dans les Arts Graphiques et Plastiques (ADAGP) la gestion des droits patrimoniaux relatifs à l’ensemble de ses œuvres.
Le magazine français PURPLE FASHION MAGAZINE a publié en ligne et en version papier des photographies réalisées par Terry RICHARDSON de Laëtitia CASTA chevauchant cinq sculptures d’Aristide MAILLOL situées au Carrousel du Louvre.
Estimant que la reproduction et la représentation de ces photographies portaient atteinte aux droits patrimoniaux et moraux de l’artiste, ses ayants droit ont assigné la société éditrice du magazine en contrefaçon devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.
En défense, la société éditrice avançait d’abord la proximité temporelle du terme de la protection des droits patrimoniaux (l’artiste est décédé le 27 septembre 1944) et le libre accès des œuvres dans un « lieu parisien public incontournable ». Elle pensait pouvoir déduire de ces éléments que les œuvres figuraient déjà dans le domaine public. Le Tribunal a, sans grande surprise, écarté son argument et rappelé que « la proximité du terme de la durée de protection des droits patrimoniaux d’auteur ou la présence des œuvres dans un lieu public ne justifie pas une atténuation ou une suppression des droits de l’auteur ou de ses ayants droit ».
La défense invoquait ensuite le caractère accessoire de la reproduction par rapport au sujet traité et représenté : l’attention du lecteur était, selon elle, toute entière retenue par les courbes du mannequin et les robes du créateur Azzedine ALAIA.
Le Tribunal rejette l’argument de l’arrière plan avancé par la société éditrice et après avoir décrit l’interaction évidente entre le mannequin et les sculptures, indique : « il ne peut être retenu que les œuvres du sculpteur, qui occupent une place aussi centrale que le mannequin dans les clichés en cause et en sont donc tout autant le sujet que celui-ci et ses tenues vestimentaires, constituent un simple décor et que leur apparition est fortuite et accessoire ».
La défenderesse niait encore avoir porté atteinte au droit de paternité de l’artiste en ce que le socle des statues où apparait la signature de l’artiste était visible sur les photographies. Elle ajoutait que le magazine étant une revue d’initiés, son lecteur reconnaissait nécessairement les œuvres de MAILLOL. Le Tribunal relève que la signature de MAILLOL n’est visible que sur deux photographies et que « la seule circonstance que les lecteurs connaîtraient les sculptures (…) ne dispense pas la société PURPLE INSTITUTE de mentionner le nom de leur auteur ».
Enfin, quant à l’atteinte au respect de l’œuvre subie par les demandeurs, la défenderesse prétendait que Laëtitia CASTA pouvait être un « symbole de l’incarnation moderne idéale des modèles de MAILLOL », les photographies étaient selon elles réalisées en « totale adéquation avec l’œuvre emprunte de sensualité de MAILLOL qui aurait pu apprécier cette série ». La société éditrice rattachait en effet les poses érotiques incriminées aux poses lascives choisies par le sculpteur pour ses œuvres.
Le Tribunal ne suit pas davantage cet argument et retient que « les photographies (…) représentent le mannequin Laëtitia CASTA dans des poses explicitement érotiques, voire sexuelles, en interaction avec les statues d’Aristide MAILLOL, lesquelles, si elles représentent des femmes nues et sont donc empreintes d’une certaine sensualité ne présentent pas de caractère explicitement érotique ou sexuel, la position et l’expression des femmes sculptées étant empreintes de classicisme. »
Cette dernière motivation laisse quelque peu perplexe : l’atteinte au respect de l’œuvre n’aurait-elle pas été tout autant caractérisée si la position et l’expression des femmes de MAILLOL étaient moins « empreintes de classicisme » ?
La société éditrice a été sévèrement condamnée sur le fondement des droits patrimoniaux de l’ADAGP (50 000 euros) et des droits moraux de Bertrand et Olivier LORQUIN (50 000 euros avec intérêts au taux légal depuis le 21 mars 2011).
Bien que ce jugement ait été largement relayé par la presse, la solution dégagée reste tout à fait classique et conforme à la jurisprudence : une œuvre de l’esprit reste protégée par le droit d’auteur quand bien même elle figure dans un lieu public et n’est pas le seul sujet de l’œuvre nouvelle dans laquelle elle s’insère.