A quelle date doit-on se placer pour apprécier l’acquisition du caractère distinctif par l’usage d’une marque : lors de sa demande d’enregistrement ou postérieurement à son enregistrement ?
Lorsqu’une marque française est en jeu, la réponse est incertaine.
Le législateur français est en effet resté muet à ce sujet, l’article 711-2 in fine du Code de la propriété intellectuelle prévoyant, sans plus de précision, que « le caractère distinctif peut […] être acquis par l’usage ».
Les Tribunaux interprètent donc cette disposition à la lumière de l’article 3§3 de la Directive n° 2008/95 rapprochant les législations des États membres sur les marques selon lequel « Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle (…) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement ».
Bien que le Tribunal de grande instance de Paris donne une lecture restrictive de l’article 711-2 et considère, dans deux décisions récentes, que le titulaire de la marque contestée doit justifier de l’acquisition du caractère distinctif de sa marque à la date de la demande d’enregistrement (TGI Paris, 5 mars 2015 n° 12/00135 et 10 septembre 2015 n° 14/07296), la Cour d’appel de Paris en livre, quant à elle, une interprétation plus large, admettant au contraire, selon un arrêt du 31 mars 2015, que la distinctivité d’une marque peut être établie postérieurement à son enregistrement (à propos de la marque « vente-privée.com » CA Paris, 31 mars 2015 n° 13/23127).
Selon cet arrêt, « l’article L.711-2, dernier alinéa, (…) dont les termes sont généraux, permet d’apprécier l’acquisition, par une marque initialement dépourvue de caractère distinctif, de sa distinctivité, en tenant compte de l’usage qui en est fait après l’enregistrement ; qu’ainsi, lorsqu’il est demandé, comme en l’espèce, à titre principal la nullité d’une marque, il convient de se placer à la date où le juge statue, de sorte que, contrairement à ce que soutient la société Showroomprivé.com, les pièces de la société Vente-privée.com postérieures au 16 janvier 2009 [date de son enregistrement] doivent être prises en compte, au même titre que celles qui lui sont antérieures ».
Cette solution, davantage favorable aux titulaires de droits, s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence plus ancienne de la Cour de cassation selon laquelle une marque pouvait acquérir un pouvoir distinctif postérieurement à son enregistrement mais son titulaire ne pouvait alors s’en prévaloir qu’à l’encontre de signes utilisés après la date à laquelle elle avait acquis son caractère distinctif (voir notamment, Cass. Com. 15 décembre 1998, n°96-20.653).
La Directive n° 2015/2436 du 16 décembre 2015 va-t-elle dissiper cette incertitude jurisprudentielle ?
Assurément, si le texte de la Directive est transposé à l’identique par le législateur français –ce qui devrait être vraisemblablement le cas. En effet, l’article 4§4 de cette Directive prévoit désormais – et il s’agit d’une disposition obligatoire – que le titulaire d’une marque dont la nullité est sollicitée pour défaut de caractère distinctif pourra y faire obstacle en démontrant qu’avant la date de la demande en nullité et à la suite de l’usage qui en a été fait, sa marque a acquis un caractère distinctif. Ainsi pourra-t-il justifier de la distinctivité de son signe grâce à l’usage qui en aura été fait même postérieurement à son enregistrement.
L’article 8 a) de la Directive précise toutefois que le titulaire d’une marque ayant acquis un caractère distinctif postérieurement à son enregistrement ne sera susceptible de s’opposer qu’à un signe dont l’utilisation a débuté après la date d’acquisition de son caractère distinctif. Cette dernière disposition s’entend parfaitement et rejoint d’ailleurs celle qui fut donnée, en son temps, par la Cour de cassation française (arrêt du 15 décembre 1998 précité).