Dans cette affaire, la Cour d’appel de Versailles était amenée à se prononcer sur l’application de l’exception de parodie prévue en matière de droit d’auteur, pouvant faire échec à une condamnation en contrefaçon.
En l’espèce, les ayants-droit du photographe Korda, auteur de la célèbre photographie du portrait du « Che au Béret et à l’Etoile » pris en 1960 à La Havane, poursuivaient en contrefaçon de leurs droits d’auteur moraux et patrimoniaux une société commercialisant des t-shirts reproduisant ladite photographie.
Le débat portait tout d’abord sur l’originalité de l’œuvre invoquée.
La Cour rappelle à cette occasion que « l’empreinte de la personnalité de l’auteur peut résulter du choix du sujet, de la mise en scène de l’objet photographié, de sa composition, de modification qu’il a apportée après la prise du cliché, de parti pris qui traduisent une démarche propre et une recherche esthétique, révélant ses compétences et sa sensibilité personnelle ».
Les intimés faisaient valoir une absence de tout parti pris esthétique de la part de l’auteur qui aurait simplement capturé des émotions propres au personnage historique reflétant sa personnalité et non celle du photographe. La Cour confirme cependant l’appréciation du TGI de Nanterre et des appelants. Elle relève en effet l’existence de choix de la part de l’auteur, à commencer par celui du sujet même de la photographie parmi la foule de participants, ainsi que l’angle de contre-plongée faisant ressortir « l’aspect messianique» du portait et le recadrage sublimant l’émotion du personnage. La photographie est donc protégeable par le droit d’auteur.
L’originalité de la photographie a été reconnue à plusieurs reprises par la Cour d’appel de Paris (not. 21 novembre 2008, n°07/06428 – 17 juin 2011, n°10/18873).
La matérialité des actes suspectés de contrefaçon était également contestée au regard du principe de loyauté de la preuve.
En effet, la preuve de l’atteinte alléguée était notamment rapportée par la production de captures d’écran du site Internet des intimés et du produit incriminé accompagné de sa facture, lequel avait été acheté par le Conseil des appelants.
La Cour rappelle que la contrefaçon est un fait et peut être prouvée par tout moyen.
Pour juger que le simple achat du produit est une preuve recevable, la Cour souligne que le fait qu’il ait été réalisé par le Conseil de l’une des parties n’est pas de nature à porter atteinte au principe du procès équitable dès lors que cette preuve a été constituée sans déloyauté, ni fraude.
En l’espèce, le Conseil des appelantes n’a procédé à aucune constatation. Il s’est uniquement contenté d’acheter le t-shirt litigieux puis de le verser aux débats, accompagné de la facture d’achat dont l’authenticité n’était au demeurant pas contestée. Les autres éléments de preuves, certes imparfaits, viennent corroborer la valeur probante de cette pièce.
Enfin les intimés se prévalaient, à titre subsidiaire, de l’exception de parodie prévue à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Pour rappel, cette disposition prévoit que : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…) 4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ; (…) »
Le visuel apposé sur les t-shirts litigieux était ici une reproduction altérée de la photographie originale de Korda : le Che était notamment présenté comme un joueur de jeux vidéo, portant un bonnet revêtu des lettres « O.T.K », tenant en son poing fermé une manette de jeux vidéo et ayant l’œil gauche cerné. La mention « Che was a gamer » était inscrite en dessous du buste du personnage.
Les intimés soutenaient que les modifications apportées permettent d’exclure tout risque de confusion avec l’œuvre initiale, que les t-shirts en cause s’adressent à un public différent de celui de la photographie et que l’intention humoristique ne comporte aucune intention de nuire.
La Cour suit cette position et admet que les appelants ne peuvent se prévaloir d’un quelconque préjudice tiré de l’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre dans la mesure où les intimés ne cherchent qu’à faire sourire le public amateur de jeux vidéo.
Ce n’est pas la première fois que le personnage du Che fait l’objet de débats en matière de droits d’auteur puisque la Cour d’appel de Paris avait jugé que la représentation burlesque de cette figure célèbre dont le visage avait été transformé en celui d’un singe n’a pas pour but de faire rire et constitue un acte de contrefaçon (CA Paris, 13 octobre 2006, n° 05/13815).
Dans l’arrêt du mois de septembre 2018, la Cour d’appel de Versailles a semblé sensible au fait que les intimés avaient eu la volonté de désacraliser des icônes, le Che mais également Jésus ou la Vierge Marie, et que cette intention qui procède des lois du genre est exclusive de toute mauvaise foi.
L’exception de parodie trouve ainsi une application intéressante. Les juges rappellent que le rire ne cherche pas nécessairement à nuire, le poids et la symbolique du portrait historique du Che ne pouvant être opposés de façon absolue aux détournements humoristiques.