Contrefaçon de marque et compétence internationale des tribunaux : la Cour de justice définit la notion d’«établissement» Une belle avancée pour les titulaires de droits de PI

CJUE, n° C-617/15, Hummel Holding A/S contre Nike Inc., et Nike Retail B.V, 18 mai 2017

La société danoise Hummel Holding a assigné en contrefaçon de sa marque figurative (ci-contre) les sociétés Nike Inc., maison mère du groupe située aux Etats-Unis, et Nike Retail B.V., établie aux Pays-Bas, devant une juridiction allemande.

Afin de justifier de la compétence de cette dernière et obtenir la condamnation de la société américaine Nike Inc., la société Hummel Holding soutenait que la société Nike Deutschland GmbH, établie sur le territoire allemand, devait être considérée comme un établissement de la maison mère.

Ce faisant, la société danoise entendait se prévaloir de l’article 97.1 du Règlement n° 207/2009 sur la marque de l’Union qui lui permettait d’agir en contrefaçon de sa marque figurative au lieu du domicile du défendeur ou de son « établissement » et bénéficier ainsi de l’article 98.1 a) du même texte donnant compétence à ce tribunal pour statuer sur « les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de tout Etat membre ».

La société allemande Nike Deutschland GmbH, tiers au litige, était dotée d’une personnalité juridique indépendante et son activité ne comprenant pas la vente de produits, n’avait aucunement participé aux actes de contrefaçon allégués.

Les sociétés Nike Inc. et Nike Retail B.V. soutenaient qu’une société juridiquement autonome ne pouvait par essence constituer l’établissement d’une autre société. Elles considéraient en outre que l’absence de direction et de contrôle effectifs exercés par la maison mère sur la société allemande était incompatible avec la qualification d’établissement.

La question posée à la Cour de Justice revenait en substance à savoir si la société juridiquement indépendante et sous-filiale de la société Nike Inc. pouvait être qualifiée comme l’établissement de cette dernière.

La Cour de justice a donc été amenée à préciser ce qu’il fallait entendre par « établissement » tout en rappelant que cette notion, qui n’est pas définie dans le Règlement n°207/2009, lequel ne comporte aucun renvoi aux droits nationaux pour en déterminer le sens, doit trouver une interprétation autonome et uniforme dans toute l’Union européenne.

La Cour de Justice, suivant en cela l’Avocat Général, a dit pour droit que constitue un établissement de la maison mère qui n’a pas son siège dans l’UE, la filiale ou sous-filiale qui est un « centre d’opérations qui, dans l’Etat membre où elle est située, dispose d’une forme de présence réelle et stable, à partir de laquelle une activité commerciale est exercée, et qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur, comme le prolongement de ladite maison mère ».

Deux critères se dégagent de cette définition.

D’abord, l’entité doit être un « centre d’opérations » menant une activité commerciale « réelle et stable », autrement dit une structure pourvue d’une direction, matériellement capable de négocier des affaires avec des tiers, de telle façon que ceux-ci puissent se dispenser de s’adresser à la maison mère (v. point 52 des conclusions de l’AG).

Ensuite, ce centre d’opérations doit se manifester « d’une façon durable vers l’extérieur, comme le prolongement de ladite maison mère ». Cet élément doit être apprécié selon la perception des tiers, lesquels doivent avoir l’impression que l’entité appartient à la maison mère (v. point 63 des conclusions de l’AG).

La Cour de Justice interprète ainsi largement la notion d’établissement et facilite la mise en œuvre de la compétence internationale des juridictions des Etats membres.

La juridiction allemande se voit reconnaitre la possibilité de condamner à la réparation intégrale du préjudice toute entité étrangère qui n’a pas son siège dans l’UE dès lors qu’est démontrée la présence de l’une de ses filiales sur le territoire de l’Union et, le cas échéant, de prononcer des mesures d’interdiction dans l’ensemble de l’Union – que la filiale soit ou non juridiquement indépendante, qu’elle soit seulement une sous-filiale et non une filiale directe et qu’elle ait participé ou non aux faits de contrefaçon.

La solution consacrée nous semble de grande importance et susceptible d’ouvrir de nouvelles perspectives judiciaires. Le forum shopping a de beaux jours devant lui et les titulaires de droits de propriété intellectuelle devraient pouvoir se réjouir de cette solution.

Reste sans doute à la société Hummel Holding de faire examiner désormais le fond du litige puisque seule la question de la compétence internationale était ici abordée. La validité de sa marque figurative ainsi que la reconnaissance de la contrefaçon devraient être les prochaines étapes de ce combat judiciaire, questions autrement plus classiques, il est vrai, que celle de la définition de la notion d’établissement.