Droit d’auteur et liberté d’expression artistique, frères ennemis ?

(TGI Paris, 9 mars 2017, RG n°15/01086)

Nous faisions état dans notre billet «  NAKED » de mars 2015 du retrait par le Centre Georges Pompidou de l’œuvre NAKED figurant dans la rétrospective consacrée à l’artiste plasticien Jeff Koons.

Sculpture en porcelaine de Jeff Koons, 1988

​Photographie de Jean-François Bauret ​(mort en 2014)

Cette sculpture en porcelaine fut contestée en justice par les héritiers du photographe Jean-François Bauret, auteur d’une photographie en noir et blanc réalisée en 1970 représentant deux enfants nus. La sculpture reprenait selon eux, les caractéristiques essentielles de la photographie sans que Jeff Koons en eut sollicité l’autorisation.

Par un jugement rendu le 9 mars 2017, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné la société JEFF KOONS et le Centre Georges Pompidou en contrefaçon de droits d’auteur du fait de la reproduction et de la diffusion de l’image de l’œuvre NAKED dans les ouvrages de l’exposition consacrés à Jeff Koons et sur le site internet correspondant.

Les dommages et intérêts restent modestes, le Tribunal notant que la sculpture critiquée avait été retirée de l’exposition, qu’elle n’avait fait l’objet d’aucune médiatisation particulière, ni qu’elle figurait parmi les œuvres iconiques de l’artiste

Il n’était pas contesté par les défendeurs que cette sculpture s’inspirait de la photographie. Selon eux, elle n’en constituait pas moins une œuvre nouvelle, portant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Sa création relevait donc de la liberté d’expression artistique de Jeff Koons, véhiculant un message et une réflexion sur la société actuelle.

Cette argumentation n’a pas convaincu les juges qui, tout en reconnaissant que la propriété intellectuelle et la liberté d’expression sont deux principes fondamentaux qui méritent d’être pris en considération, ont retenu qu’il n’était pas démontré en quoi la reprise de l’œuvre antérieure était nécessaire pour véhiculer un tel message au public. Cette reprise permettait au contraire à la société JEFF KOONS de faire l’économie de tout travail créatif.

L’œuvre de Jeff Koons, qualifiée par le Tribunal de « composite », ne pouvait donc être réalisée sans l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants droit.

Ce n’est pas la première fois que le plasticien est mis en cause pour ses œuvres appartenant à la série qu’il intitule Banality. On pense notamment à la sculpture FAIT D’HIVER qui, présentant de fortes ressemblances avec une image intitulée du même nom et issue d’un film publicitaire, fait actuellement l’objet d’une procédure en contrefaçon.

La problématique posée soulève des questions de principe puisque la propriété intellectuelle est de nature à restreindre l’exercice de la liberté d’expression artistique et doit être examinée au regard du principe de proportionnalité. Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence Peter Klasen qui s’était prononcée sur la nécessité de trouver un juste équilibre entre droit d’auteur et liberté d’expression (Cass. Civ. 15 mai 2015, n°13-27391).

En droit, la solution retenue par le Tribunal s’inscrit, nous semble-t-il, dans une jurisprudence classique favorable à la protection des auteurs. Il reste que la mesure d’interdiction prononcée par le Tribunal se limite bien entendu à la France et n’empêchera pas la divulgation de NAKED dans d’autres pays. La valeur de la sculpture ne risque-t-elle pas de s’envoler du fait de l’image d’interdit, voire de censure qui l’entoure ? Ce ne serait guère surprenant et cette fois, le droit d’auteur n’y pourrait rien.

L’affaire sera vraisemblablement portée devant la Cour d’Appel de Paris.