Les mains dans le contrat !

La réforme des contrats et ses implications en propriété intellectuelle

Compte-rendu de la Commission APRAM « Marques Nationales » du 1er décembre 2016
par S.BENOLIEL-CLAUX

INVITES :

  • M. Jean-Sébatien Borghetti, Professeur à l’université Panthéon-Assas
  • Mme Marie Champey, Directrice département Propriété Intellectuelle & Digital ACCOR HOTELS

 

Les origines de la réforme

La réforme naît de la volonté de moderniser les dispositions du Code civil de 1804 et leur formulation surannée ainsi que d’intégrer les principales créations jurisprudentielles. Ainsi, il s’agit moins de changer le droit existant que d’effectuer une mise à jour.

Une idée sous-jacente est également de promouvoir la sécurité juridique et l’attractivité internationale du droit français.

Suite à l’habilitation délivrée par le Parlement en février 2015, la réforme a finalement été opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.


Remarques :

  • La continuité l’emporte sur la nouveauté mais les règles nouvelles pourraient influencer rétroactivement l’interprétation des règles anciennes, rendant difficile une anticipation exacte de l’ampleur du changement effectif du droit.
  • Le projet de réforme ayant été travaillé sur près de 10 ans, les textes ne font pas forcément l’objet d’une unité d’inspiration, si bien que la question de la cohérence de l’ensemble se pose.

 

Le champ d’application de la réforme

La réforme couvre le droit commun des contrats, le régime des obligations, le droit de la preuve.

La réforme ne couvre pas le droit des contrats spéciaux, le droit de la responsabilité civile, en ce compris la responsabilité contractuelle.

→ L’articulation du droit commun réformé avec les règles anciennes des contrats spéciaux pourra s’avérer problématique (ex. : vente).

→ Un avant-projet de réforme de la responsabilité civile est à l’étude que la Chancellerie souhaite finaliser avant les élections du printemps 2017, de telle sorte qu’il puisse être présenté au Parlement après celles-ci, si le nouveau Gouvernement le souhaite.

→ Les règles anciennes en matière de responsabilité contractuelle continuent de s’appliquer.

Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2016 ; les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.

Remarque : Une incertitude demeure quant à une éventuelle ratification de l’ordonnance par le Parlement, ce qui serait alors l’occasion d’apporter quelques modifications ou corrections aux articles qui ne satisfont pas (ex. : sur les clauses abusives).

QUESTIONS GENERALES

L’application de la loi dans le temps
→ Le problème des opérations contractuelles qui s’étalent sur une période avant-après réforme.

Exemples :

  • En cas de négociations entamées avant le 1er octobre 2016 et conclues après cette date
  • Le contrat de promesse conclu avant le 1er octobre 2016 avec une levée d’option après cette date
  • Le renouvellement ou la tacite reconduction, après le 1er octobre 2016, d’un contrat conclu avant cette date donne jour à un nouveau contrat soumis aux nouvelles dispositions.

→ On ne peut par ailleurs exclure la possible influence rétroactive des nouvelles règles sur le droit ancien, sans qu’il soit encore possible d’en évaluer l’ampleur.

L’articulation entre droit commun et droits spéciaux

→ Specialia generalibus derogant – Non couvertes par la réforme, les anciennes dispositions propres aux contrats spéciaux continuent à s’appliquer.

Questions :

  • Que faire de la disposition spéciale conçue comme faisant exception à une règle de l’ancien droit commun désormais écartée ? Ex. : le régime de la réduction de prix en cas de vice caché dans la vente.
  • Que faire de la nouvelle disposition générale venant chevaucher partiellement la disposition spéciale préexistante dont la finalité ou le champ d’application sont partiellement différents ? Ex. : clauses abusives (art. 1171 nouv. C. civ. et art. L.446-2 C. com.) ou la révision judiciaire pour imprévision jusque-là exclue en droit des contrats (art. 1195 nouv. C. civ. et art. L.131-5 CPI).

Dispositions impératives et dispositions supplétives

→ Sauf précision contraire, les nouvelles règles sont en principe supplétives. L’ordonnance précise expressément le caractère impératif de certaines dispositions. Ex. : art 1104 nouv. C. civ. sur la bonne foi ; art. 1121-1 nouv. C. civ. sur le devoir précontractuel d’information.

→ En dehors des dispositions expressément désignées comme impératives, il est possible que les juges décident du caractère impératif de certaines des nouvelles dispositions. Ex. : art. 1221 nouv. C. civ. sur l’exécution forcée en nature.

DISPOSITIONS PARTICULIERES

A. Les négociations précontractuelles
Art 1112 nouv.

L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu.

→ Principe de liberté des négociations sous réserve de la bonne foi. S’il n’est pas nouveau, il est formellement intégré par la réforme. Codification de l’arrêt Manoukian (Cass. com., 26 novembre 2003). La réparation du préjudice issu de la faute ne peut compenser les avantages attendus de la conclusion du contrat, elle compensera éventuellement le fait d’avoir négocié en vain ou la perte de chance de conclure un contrat ailleurs.

Et en PI ?

Plusieurs hypothèses :

  • la négociation d’un contrat de franchise où le franchisé confiant va investir lourdement pour satisfaire les exigences du franchiseur qui, au dernier moment, ne donne pas suite ;
  • le contrat d’édition : l’auteur s’investit dans le travail de relecture, de vérification des sources puis l’éditeur rompt les négociations ;
  • l’accord de coexistence de marques : au lancement d’une marque, le demandeur à l’enregistrement va entrer en négociations avec le titulaire de marques antérieures qui refuse finalement de signer et assigne en justice au moment du lancement.

Quelles recommandations ? Garder les traces de l’avancement des négociations, du détail des conditions discutées et des concessions faites par les parties.

Art. 1121-1 nouv.

Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.

→ Sur le devoir précontractuel d’information – Sa codification a entraîné une difficulté méthodologique. Le législateur est en effet contraint d’édicter une règle générale que la jurisprudence de la Cour de Cassation s’était abstenue de dégager, raisonnant seulement à partir de cas particuliers. Cette jurisprudence garde néanmoins toute sa pertinence. Codification notamment de la jurisprudence Baldus (Cass. civ. I, 3 mai 2000) : pas d’obligation d’informer sur la valeur.

→ Comment délimiter le devoir d’information ? Cela passe notamment par la délimitation précise de l’objet et du contenu du contrat.

→ Attention aussi au risque d’élargissement du devoir d’information à travers la sanction de la réticence dolosive, l’article 1137, alinéa 2, nouv. C. civ. définissant celle-ci comme la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie, sans autre restriction.

Et en pratique ? La part de subjectivité est grande et le contour du devoir d’information demeure flou. Sur la validité de brevets, jusqu’où doit-on aller ? En matière de marques, doit-on considérer que la menace de demande en nullité contenue dans une lettre de mise en demeure entre dans le champ du devoir d’information au cours d’une négociation de contrat de licence ? Est-ce important pour le licencié ? Cela dépendra notamment de savoir si une telle revendication est usuelle, du contexte, de son auteur…
En matière de contrats informatiques, il faudra notamment annexer au contrat l’ensemble des éléments d’information communiqués qui auront pu être déterminants dans la décision de conclusion du contrat par l’éditeur.

Art. 1112-2 nouv.

Celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun.

→ Codification d’un principe jurisprudentiel

Et en pratique ? Prévoir un accord ou une clause de confidentialité précisant notamment l’objet, le champ et la sanction.
B. La conclusion du contrat

Art. 1116 nouv.

[L’offre] ne peut être rétractée avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable.
La rétractation de l’offre en violation de cette interdiction empêche la conclusion du contrat.
Elle engage la responsabilité extracontractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à compenser la perte des avantages attendus du contrat.

→ L’article consacre la jurisprudence existante dans une rédaction maladroite. En effet, il énonce que l’offre ne peut être rétractée pendant la durée de validité mais dans l’hypothèse où l’offrant la révoque malgré tout, la rétractation est efficace et il n’y a pas de formation du contrat.

Article 1121 nouv.

Le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant. Il est réputé l’être au lieu où l’acceptation est parvenue.

→ L’article vient renverser la solution retenue par la jurisprudence en matière de contrat à distance. Traditionnellement, la conclusion du contrat se faisait à l’envoi de la réponse de l’acceptation ; désormais il faut apprécier l’acceptation au moment où elle parvient à l’offrant.

Et en pratique ? Afin de limiter les situations temporellement compliquées, il est avantageux de retenir la solution de la signature électronique.

Art. 1123 nouv.

Le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter.
Lorsqu’un contrat est conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préférence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi. Lorsque le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu.
Le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir.
L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat.

→ Introduction de l’action interrogatoire aux alinéas 3 et 4 permettant au tiers de consulter le possible bénéficiaire d’un pacte de préférence sur ses intentions de se prévaloir de son droit de préemption.
Attention : problème quand le bénéficiaire du pacte est également soumis à une clause de confidentialité.

Art. 1124 nouv.

La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.
La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis.
Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul.

→ Alors que la Cour de Cassation retenait que le promettant pouvait révoquer son consentement durant le délai d’option laissé au bénéficiaire contre le versement de dommages et intérêts, l’article renverse cette solution et dispose que la révocation de la promesse n’empêche pas la formation du contrat promis. Ce peut être, dans certaines circonstances, assez sécurisant (not. dans un contrat d’achat de droits de PI) de savoir qu’il existe une promesse de contrat qui ne peut être révoquée.

Et en pratique ? Caractère intuitu personae des contrats de propriété intellectuelle se concilie assez mal avec cette disposition. Par ailleurs, compte tenu de la difficulté qu’il peut y avoir, en pratique, à obtenir l’exécution forcée du contrat de promesse, l’insertion d’une clause pénale mérite d’être envisagée.
C. Le contenu du contrat – Art. 1171 nouv.

Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.

→ Le nouvel article généralise le contrôle des clauses abusives, appliqué à tous les contrats d’adhésion. Le nouvel article 1171 introduit le « déséquilibre significatif » dans le droit commun du contrat qui n’existait alors que dans deux textes spécifiques : le Code de la consommation (L. 132-1 s.), qui répute non écrites les clauses abusives des contrats conclus entre professionnels et consommateurs, et le Code de commerce (art. L. 442-6, I-2°).

→ La notion de contrat d’adhésion sera probablement la source d’un contentieux majeur. L’article 1110, al. 2, suggère qu’un contrat doit recevoir cette qualification dès lors qu’il contient des conditions générales, ce qui autoriserait même le contrôle des clauses négociées contenues dans un tel contrat. Il serait préférable de restreindre le contrôle aux clauses non négociées contenues dans des conditions générales.

→ Nous pouvons espérer que la possible ratification de l’ordonnance sera l’occasion de restreindre le champ d’application pour ne concerner que les clauses non négociées.

Et en pratique ? Se pose la question des contrats Pure Player, contrats Internet pratiquement impossibles à négocier dont le contrôle sera a priori plus facile désormais par l’introduction de cette disposition.
Attention cependant aux contrats types qui pourraient être qualifiés de contrats d’adhésion, par exemple dans le cas de gros donneurs de licence qui imposent leurs conditions.

Pour ce qui est de la preuve du caractère non négocié de la clause : garder des traces des négociations précontractuelles. Néanmoins cela n’évacue pas la question de savoir dans quelle mesure une modification de la clause est suffisante pour dire qu’elle a été négociée.

D. La révision judiciaire pour imprévision – Art. 1195 nouv.

Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.

→ Cette possibilité d’adaptation judiciaire en cas de « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat » rompt avec la jurisprudence constante depuis la célèbre décision Canal de Craponne (1876) et le refus d’ingérence du juge dans le contrat, « chose des parties ».
L’incertitude créée par cette possible intervention du juge constitue une incitation pour les parties, notamment la partie dominante, de bien négocier les conditions économiques du contrat. Clauses de hardship à prévoir.
Règle supplétive qui peut donc être écartée.

Et en pratique ? Quelle application de l’imprévision dans les contrats de coexistence de marques dont les conditions imposées deviennent insupportables pour une partie au regard du développement de son activité ?
La notion de « changement de circonstances » pourrait renvoyer aux hypothèses des ruptures technologiques.
E. L’inexécution du contrat – Art. 1217 nouv.
La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • solliciter une réduction du prix ;
  • provoquer la résolution du contrat ;
  • demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter

→ Introduction importante qui vient clarifier la situation antérieure. La réforme renforce les prérogatives du créancier mais écarte l’exécution forcée quand il existe une disproportion manifeste entre le coût de l’exécution pour le débiteur et l’intérêt qu’elle représente pour le créancier (art. 1221 nouv. C. civ.).
F. La cession de contrat – Art. 1216 nouv.

Un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé.
Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la cession produit effet à l’égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu’il en prend acte.
La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité.

→ Absent du code de 1804, s’est développé néanmoins un « droit commun de la cession de contrat ».